Violence et discours sur les manifestations vus par les sciences du langage

Publié le 07/05/2024
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Doctorant en Sciences du langage de l'UFR Lettres et sciences humaines de l'Université de Bretagne occidentale, Pierre Chartier analyse le discours sur la violence des manifestations contre la Loi travail ; après les médias et les politiques, ce sont les commentaires des vidéos Youtube qu'il étudie. 

Un article de Pierre Chartier sur la violence protestataire dans le discours médiatique dans The conversation

Les sciences du langage sont un vaste domaine ; elles incluent la linguistique (étude des langues) mais aussi la phonétique (prononciations) ou encore la sémantique et l'analyse du discours qui se penchent sur le sens du discours produit. Ces sciences du langage sont sollicitées par des commanditaires publics ou privés. On peut ainsi y avoir recours pour étudier les langues ou l'histoire ou pour recueillir des données sur le web pour le compte d'une marque commerciale, d'un parti politique afin de cibler une campagne marketing ou un programme politique. 

Pierre Chartier fait partie de ces jeunes chercheurs qui ont pu profiter de l'essor du numérique, avec la profusion de discours qui l'accompagne. Quand il se penche sur un discours, le chercheur analyse aussi bien les mots que leur agencement (grammaire, syntaxe) sans oublier la ponctuation mais aussi les émoticônes ou encore la disposition du texte. Et bien sûr, il s'intéresse au message lui-même, ce qui est dit.

La violence dans les discours des médias, toujours dé-légitimée

Ayant milité contre la Loi travail, Pierre Chartier a d'abord étudié la place de la violence dans le discours des journalistes autour des manifestations contre la loi travail. Il en a déjà tiré une analyse approfondie de l'emploi du mot  "casseurs".   C'est un terme exogène qui ne vient pas des intéressés (les manifestants). Le chercheur a pu constater à l'occasion de cette étude que la violence dans les discours médiatiques (ou politiques) est toujours dénoncée, traitée comme négative en soi, alors qu'elle pourrait très bien être jugée légitime (quand on se défend ou quand on se révolte contre l'injustice). De même, les politiques refusent d'évoquer la "violence policière" parce qu'ils estiment que cette expression délégitime les actes. 

Le discours en ligne et ses particularismes

Internet a bien sûr généré un nouveau type de discours que les scientifiques du langage peuvent étudier. Mais Pierre Chartier estime que ce discours "en ligne" est différent de celui qui est produit hors ligne. Les locuteurs y produisent une nouvelle facette d'eux-mêmes : "un nouveau masque parmi d'autres". Certes, la parole peut y être plus libérée, moins "politiquement correcte" que dans la vie réelle. Mais à l'inverse, le phénomène du trolling est un discours exagéré à dessein pour le seul plaisir de choquer et de provoquer des réactions. 

Focalisé dans sa thèse sur les commentaires des vidéos Youtube, le chercheur travaille sur un corpus de 32 000 messages dont il examine la forme, le fond mais aussi les interactions entre messages. Par exemple, le locuteur utilise-t-il le "nous" pour se positionner dans un "camp" au sein d'un débat polarisé ? OU bien le commentaire est-il neutre voire légèrement humoristique ? 

"On est devenu hypersensibles à la moindre émanation de violence" du fait de cette omniprésence des discours sur la violence ou des discours polarisés, rendus visibles et "figés" par internet, estime Pierre Chartier, qui affirme pourtant que la violence elle-même (en actes dans la réalité) est de plus en plus rare.