Même s’il s’agit de biologie, de chimie, d’écologie… les « marées vertes » sur nos plages sont surtout un phénomène humain. Lecture d’une anthropologue sur la société bretonne face aux algues vertes.
Alix Levain est anthropologue, docteure en ethnologie, chargée de recherche CNRS à l‘UMR Amure de Brest
Le problème des échouages massifs d’algues vertes sur les côtes bretonnes remonte au début des années 1970. Au départ, ce sont les élus de Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes d’Armor qui se sont inquiétés de ces proliférations dans leur baie ; elles semblaient surgir tout d’un coup, et surtout faisaient fuir les touristes ! Le terme de « marée verte » est aussitôt né spontanément puisque la marée noire du Torrey Canyon en 1967 était encore bien présente dans les esprits. A l’époque, le phénomène pouvait encore être perçu comme une invasion biologique venue d’ailleurs (ou de nulle part).
Enjeux socio-économiques des marées vertes
C’est au milieu des années 1980 que les scientifiques (dont Alain Menesguen) ont clairement établi le lien entre agriculture intensive et prolifération côtière des ulves, algues par ailleurs assez ordinaires et peu étudiées par les spécialistes (elles étaient pourtant présentes dans les eaux bretonnes depuis longtemps, mais c’est leur croissance et leurs déplacements qui changeaient). Les causes du problème étaient donc internes et locales.
Les enjeux autour du phénomène ont alors changé et dépassé la seule question de l’image du littoral breton : au-delà des périls sur le tourisme, c’était tout un modèle économique et social – l’agriculture bretonne – qui était soudain mis en cause ! Dans les années 2000, la médiatisation a atteint son apogée autour des questions sanitaires, avec la mort d’un cheval et le coma de son cavalier, liés à l’hydrogène sulfuré des algues vertes en décomposition sur la plage.
Bataille de communication et débats de société
Les marées vertes ont créé des clivages au sein même des différents groupes d’acteurs. D’un côté les élus décidés à remédier au problème, de l’autre ceux qui préféraient taire le phénomène pour préserver l’attractivité touristique du littoral. Les divisions atteignaient les agriculteurs eux-mêmes (les paysans pêcheurs avaient été les premiers à prendre conscience du lien entre terre et mer qui apparaissait dans les proliférations d’algues vertes). Même les militants écologistes s’opposaient sur la stratégie : entre les plus radicaux, partisans d’une attaque frontale du modèle agro-industriel, et les plus anciens, soucieux de préserver le dialogue entre tous les acteurs, agriculteurs inclus.
S’il semble apaisé aujourd’hui, le débat sur les marées vertes – y compris sur leurs causes – n’est pas totalement clos. Il reste traversé par les autres débats liés à l’environnement et au développement durable ; il raconte encore notre histoire bretonne et reste un sujet d’intérêt pour l’ethnologie.
A lire : l’article d’Alix Levain sur les algues vertes dans la revue ethnographiques.org