A l’heure où on s’inquiète d’une raréfaction ou d’une disparition des poissons, coquillages et crustacés, où en est la gestion de la pêche en mer ? Etat des lieux de la politique d’exploitation des ressources en Europe.
Fabienne Daurès est docteure en économie des ressources marines, chercheuse à l’Ifremer, rattachée à l’UMR- Amure, le centre de droit et d’économie de la mer de Plouzané avec lequel nous avons réalisé ce cycle d’émissions mensuelles dans le cadre du Lem.
Quotas et licences pour réguler la pêche depuis les années 1970
Il existe plusieurs niveau de gestion des ressources de la pêche maritime en Europe ; en premier lieu, la PCP Politique commune des pêches, qui gère les stocks de poissons et crustacés mais aussi leur conservation et la rentabilité du secteur économique de la pêche. Des quotas sont fixés pour un grand nombre d’espèces (celles qui concernent plusieurs pays) en fonction du Tac. Ce Total admissible de captures est défini en fonction des études scientifiques.
Les quotas concernent l’ensemble des eaux européennes ; ils sont répartis (en volume) entre les différentes organisations de pêcheurs, chargées de gérer la ressource, avec des méthodes variées selon les organisations (la plupart des pêcheurs en sont adhérents).
Certains stocks ne sont pas couverts par les quotas : toutes les pêcheries côtières, pratiquées à moins de 12 milles au large (environ 22 km). Il faut tout de même une licence délivrée par l’Etat pour y accéder. Pour la langoustine par exemple, il faut aussi adhérer à une organisation professionnelle (comité des pêches) qui répartit les licences.
Pour le contrôle, les captures d’espèces concernées par les quotas sont soumises à déclaration auprès de la Direction des pêches : espèces, tonnage, engin de pêche, et lieu du prélèvement doivent être précisés dans le « logbook » (journal de bord). Ces déclarations de capture forment aussi une base de données précieuses pour permettre aux chercheurs d’évaluer la ressource maritime (en plus des études scientifiques dédiées menées par les chercheurs de l’Ifremer).
Ces ressources communes sont régulées depuis une quarantaine d’années ; c’est obligatoire pour éviter leur épuisement. Ce système a d’ailleurs été mis en place quand les stocks de poisson ont été menacés suite à l’essor de la pêche après-guerre. L’impact de la multiplication des capacités de pêche a été fort (chalut et filet en particulier) : les quantités pêchées stagnaient voire baissaient malgré l’amélioration des techniques de pêche !
Pendre en compte toutes les dimensions d’une pêche durable : environnementales, sociales, culturelles
La durabilité est une question d’écologie, mais aussi un enjeu social : gérer la ressource permet également de garantir des revenus à ceux qui pêchent. Quand la nécessité de gérer la ressource s’est imposée dans les années 1970, nombre de bateaux ont été désarmés (rachetés sur fonds publics pour être détruits), des flottilles entières ont ainsi disparu pendant des années. L’image des ports qui se vident est aussi une réalité à laquelle il a fallu s’habituer.
Mais de même que les pêcheurs avaient eux-même mesuré la fragilité de leur activité, ils constatent aujourd’hui – du moins en Atlantique Nord-Ouest – que cette politique de gestion des pêches porte ses fruits. Les stocks s’y portent mieux.
Tout n’est pas réglé pour autant ; d’autres questions surgissent, comme l’impact de la pêche sur les fonds marins et les habitats, et sur la biodiversité marine en général. Pour compenser la baisse des captures, l’aquaculture n’est pas forcément une solution de rechange. Les poissons d’élevage sont nourris avec des poissons sauvages et l’aquaculture génère aussi des conflits d’usage en raison de l’espace occupé par son activité.
Pour les chercheurs, il reste de nombreuses thématiques à explorer comme celle des techniques de pêches plus sélectives (qui capturent uniquement les poissons adultes). Il faut aussi approfondir la connaissance des espèces, de leur biologie et de leurs comportements. Enfin, travailler sur une pêche durable suppose aussi d’aborder la sociologie et l’anthropologie pour prendre en compte la multiplicité des acteurs humains concernés, leurs besoins et leurs contraintes : pêcheurs, mareyeurs, conserveries et autres professionnels, sans oublier les consommateurs. L’exemple du Bar, poisson emblématique de nos côtes est parlant, tant son exploitation est variée par des pêcheurs amateurs jusqu’aux gros chalutiers, en passant par les ligneurs, sans oublier les éleveurs…