Docteur en histoire moderne, Pierre Martin s’est spécialisé dans l’histoire maritime et fluviale. Amateur de pêche en rivière, il s’intéresse notamment aux pêcheries de saumon en Bretagne depuis l’Ancien Régime. Eau et rivières de Bretagne l’a donc invité à témoigner sur les évolutions de ce poisson, de sa pêche et même de son braconnage.

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Pour connaître le détail des travaux de Pierre Martin

Pour toucher davantage de public, l’association Eau & Rivières de Bretagne approfondit le lien culturel qui unit les Bretons à l’eau. D’où cette rencontre avec Pierre Martin, historien spécialiste de l’époque moderne et de l’histoire fluvio-maritime.

Pierre Martin était déjà pêcheur avant d’être historien, dès l’âge de 15 ans. Au cours de ses études d’histoire moderne, il s’est orienté vers les questions liées à l’environnement et à l’animal. C’est ainsi qu’il s’est penché sur l’histoire du saumon, en Bretagne et plus largement sur la façade Atlantique, dès l’Ancien Régime.

Pour Eau et rivières de Bretagne, c’est ce poisson qui est à l’origine de l’association elle-même puisque son nom en 1969 était : l’association pour la production et la protection des salmonidés en Bretagne. Il s’agissait alors de rassembler pêcheurs et naturalistes pour sauver cette espèce emblématique et ses cousines.

Le saumon fut, dès le Moyen âge considéré comme « royal » et sa pêche fut rapidement réglementée (dès le 13e siècle). Dès le 15e siècle, archives d’abbaye et de seigneuries se multiplient car ce sont ces structures nobiliaires qui possèdent les droits de pêche : droit de poser des filets au passage des saumons ou jusqu’aux structures maçonnées qui permettent de les attraper plus facilement. Le pouvoir royal absolutiste s’impose progressivement dans la réglementation (taille des mailles de filet sous Colbert).

Au 16e siècle, le statut de poisson de qualité du saumon est acquis. De très nombreuses recettes et mentions en témoignent, jusqu’aux écrits de la marquise de Sévigné.

Le saumon breton, un poisson apprécié et braconné

Les comptes des celluriers d’abbaye mentionnent par ailleurs la consommation du saumon dans les abbayes et permettent d’avoir aussi une idée du nombre des poissons pris.

On ne peut qu’évaluer approximativement l’état de la ressource de saumons bretons sous l’Ancien Régime ; cependant, les historiens constatent que les pêcheries de saumon se portent bien, les fermiers de ces pêcheries ne font jamais faillite et au contraire ré-investissent dans d’autres fermes. Elles s’accompagnent d’un commerce très structuré de grossistes qui achètent d’avance, par demi-année et revendent le saumon bien au-delà de la Bretagne.

Le braconnage existe déjà sous l’Ancien Régime. Il est parfois «organisé » et quasi mafieux, mais il est plus fréquemment le fait d’individus dont les motivations mêlent opportunisme économique, habitudes familiales et culturelles et contestation sociale (surtout au 18e siècle). Pendant la Seconde Guerre mondiale, braconner du saumon s’apparente même à de la collaboration puisque les prises sont vendues de préférence à l’occupant allemand.

De nos jours, le braconnage des saumons persiste, essentiellement pour des raisons économiques, et son impact est bien plus délétère étant donné la faiblesse des populations de saumon.

L’effondrement des populations de saumon en Bretagne

C’est avec l’industrialisation que les effectifs de saumons s’effondrent nettement dans les rivières bretonnes, essentiellement du fait des pollutions liées aux différentes productions de bord de cours d’eau : activité minière en centre Finistère ou rouissage du lin dans le nord Finistère, dès le 18e siècle, et plus tard les papeteries à Quimper ou à Quimperlé.

Aujourd’hui les salmonidés sont toujours menacés par des pollutions mais aussi par la détérioration des cours d’eau liée à de nombreux facteurs : pratiques agricoles qui augmentent le ruissellement et l’érosion des fonds de rivières, chute de la biodiversité et des ressources alimentaires des saumons (insectes), sans oublier ce qui se passe en mer, l’autre milieu de vie du saumon : surpêche en Ecosse, aux îles Feroë et en Norvège de saumon sauvage qui est transformé en farine pour nourrir les saumons d’élevage (pêche minotière).

Le saumon, patrimoine culturel breton et moteur de tourisme

L’image du saumon auprès des consommateurs s’est d’ailleurs dégradée du fait de l’élevage industriel. Pourtant, du point de vue des pêcheurs bretons (et des historiens) ce poisson est un patrimoine culturel, emblématique de nos rivières. Il peut aussi (re)devenir un moteur de l’économie. Jusqu’aux années 1970, le tourisme de Châteaulin et Port-Launay devait beaucoup à la pêche au saumon. A Quimper, le parcours pêche de l’Odet reste réputé, notamment grâce aux salmonidés. Heureusement, ces poissons n’ont pas totalement disparu en Bretagne (contrairement à d’autres régions). Les AAPPMA (Associations agréées de pêche et protection des milieux aquatiques) comme celle de l’Elorn, travaillent à préserver ce tourisme halieutique indissociable de la préservation des saumons.

La pêche du saumon en Bretagne. Plusieurs siècles d’histoire et de passions, Editions Skol Vreizh, Morlaix, avril 2014, 160 pages.