En cette émission du 11 novembre, Il était une fois en Cornouaille revient sur les histoires que se racontaient les jeunes soldats bretons pendant la Grande Guerre, mais l’émission explore aussi les croyances des familles restées à l’arrière.

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Mais commençons donc par l’évocation des légendes durant la Première guerre mondiale. Alors je vois d’ici votre sourcil qui se soulève et vos yeux qui s’étonnent alors que vos lèvres esquissent une moue réprobatrice. Quel peut être le rapport entre les contes et légendes de la Cornouaille bretonne et la grande guerre ?

Nous connaissons l’utilité des contes et des légendes, ils permettent à l’Homme d’apprivoiser son environnement intérieur, par les contes, et extérieur par les légendes. Pour résumer, les contes et les légendes rassurent.

Nulle surprise donc qu’un environnement aussi terrible que celui de la guerre dans les tranchées ait ravivé ce réflexe, cet instinct fondamental qui est d’expliquer ce qui se passe en imaginant des choses pour ne pas se laisser submerger par la peur.

Dans son livre sur les légendes, « les prophéties et les superstitions de la Grande Guerre », Albert Dauzat nous explique que les bretons des tranchées étaient mal vus par leurs autorités hiérarchiques à cause de cette propension qu’ils avaient à faire travailler leur imaginaire. Parfois, souvent, ils devenaient à cause de cela les relayeurs de fausses nouvelles, voire de paniques.

Alors que racontaient nos jeunes bretons de Cornouaille pendant la Grande Guerre ?

La première de ces légendes est l’invention d’une arme secrète qui devait changer le cours de la guerre en promettant une victoire écrasante : la poudre Turpin. Cet explosif était, disait-on, tellement puissant qu’il pouvait éventrer n’importe quel fort, fut-il renforcé par du béton armé.

Une autre arme secrète était « les flèches d’avion » détruisant un corps d’armée d’un seul coup ou des obus gigantesques faisant des trouées de cent mètres. Sorte de bombe atomique avant l’heure.

Une autre légende qui a eu la vie dure jusqu’en 1917 est le débarquement de troupes russes pour venir aider. Des courriers, jamais envoyés évidemment, mentionnaient leur arrivée en grand nombre dans les ports français dont Brest.

Des bretons, voyaient régulièrement St Michel intervenir à leur profit par des paréidolies, des illusions d’optique réinterprétant ce qui est vu, liées aux lueurs des explosions. Des blessés bretons sur le champ de bataille ont vu la Vierge ou Ste Anne venir les réconforter tandis que les premiers aéroplanes aperçus devenaient des anges dans les yeux de ceux qui ne savaient pas encore de quoi il s’agissait.

Parfois il s’est agit du roi Arthur apparaissant dans le ciel, accompagné des chevaliers de la Table Ronde pour prévenir de terribles batailles à venir. Il existe encore aujourd’hui un présage de ce type vers Châteauneuf-du-Faou et les montagnes noires de la Cornouaille bretonne.

Dans le contexte des tranchées où la mort était omniprésente, il n’était pas rare de voir des fantômes. Ce genre de récit était très répandu.

Certains ont vu passer deux « grands chiens fantomatiques et colorés, reliés par une courte chaîne d’acier » qui ont traversé la terre déchirée par la bataille avant de disparaître. Les chiens fantômes apparaissaient presque toujours juste avant que quelque chose de dramatique ne se produise.

Il existe de nombreux autres récits tels que ceux-ci qui se sont produits au cours de cette guerre sans merci. Des colonnes de soldats français montant vers le front lors de la bataille de Verdun assure avoir croisé des colonnes fantomatiques d’unités décimées qui repartaient vers l’arrière.

Toujours à Verdun, certains des hommes sur les lignes de front ont commencé à parler d’un soldat fantomatique vêtu de vieux vêtements de la guerre franco-prussienne de 1870, avec une longue barbe blanche et des joues roses. On disait que cette apparition surgissait du ciel pour venir aux secours des Français, et les récits des escapades du vieil homme spectral sont nombreux. Parfois, il aurait fait tomber les armes des mains de l’ennemi ou les aurait fait trébucher. D’autres fois, il aurait guidé les Français et leur aurait montré où aller. Il les aurait même poussés physiquement pour les mettre à l’abri du danger. Beaucoup de soldats ont raconté qu’ils avaient été poussés à terre par le fantôme, alors qu’une balle était sur le point de les toucher à la tête. Il a également été signalé que le fantôme soignait les blessés ou offrait un verre d’eau avant de disparaître dans les airs.

À ces diverses visions s’ajoutent de nombreux récits de cavaliers fantômes qui ont traversé la zone de guerre lors de la bataille du Cateau en 1914. Ils sont passés devant le feu de l’ennemi sans subir de dégâts notables. Ils apparaissaient et disparaissaient subitement à l’improviste.

Mais les fantômes n’étaient pas les seuls à l’esprit de nos poilus bretons. Une légende plus légère racontait que suite au débarquement des américains à Brest, ceux-ci avaient eu commerce avec des bretonnes dont le mari était au front.

Lorsqu’ils apprirent qu’ils avaient eu à faire à des femmes mariés, les dits américains, indignés, firent un « tampon à tatouage » pour marquer les femmes volages de l’inscription suivante : « femme infidèle, souvenirs d’Amérique ». Cette légende fut abondamment relayée par les poilus bretons prévenant leur épouse de cette rumeur dans leurs courriers envoyés vers l’arrière. Allez savoir pourquoi…

Les poilus bretons à tendance bonnet rouge colportèrent aussi la rumeur selon laquelle la guerre avait été lancée par les nobles et les curés pour détruire le petit peuple devenu trop nombreux. Fake news dirait-on aujourd’hui, fake news que l’on retrouve encore de nos jours sauf que la guerre y est remplacée par le corona virus.

Il est une autre légende qui était répandue sur tout le front et que les bretons n’étaient pas les derniers à transmettre car elle rejoignait certaines de leurs propres croyances, c’était celle de l’autobus, que Guillaume Apollinaire a contribué à faire connaître dans la revue Mercure de France en 1917. Rêver d’autobus devient le présage d’une mort prochaine. Un intersigne comme on dit chez nous. Les bretons vont y voir l’ankou qui se modernise parce que sa charrette ne suffit plus à venir chercher tous les armoricains tués par la guerre. La simple évocation d’un bus suffira à porter malheur. Il faut dire que les autobus parisiens ne faisaient rien pour arranger la situation. Ils étaient parfois utilisés pour venir chercher des hommes de l’arrière et les ramener en renfort sur le front en pleine nuit. Ce transport se faisait sans souci de sécurité routière et les accidents n’étaient pas rares.

Une autre superstition consistait à ne jamais allumer trois cigarettes avec la même allumette. Les soldats français et allemands se tenaient parfois les uns en face des autres à seulement quelques mètres de distance. Protégés par les tranchées, ils s’accordaient un moment de répit en fumant une cigarette. On disait alors que la flamme de l’allumette attirait d’abord l’attention de l’ennemi. Lorsque le soldat passait l’allumette à son voisin, la flamme indiquait cette fois l’endroit précis où ils se trouvaient et l’ennemi pouvait épauler son fusil. C’est le troisième fumeur qui recevait le coup de feu.

Cette superstition s’est étendue aux bougies et est restée dans les mentalités. En allumer trois, à une fenêtre, porte désormais malheur, en Cornouaille comme ailleurs.

Portes-bonheur, grigris et superstitions foisonnent dans les tranchées mais aussi à l’arrière. La guerre décuple le sentiment de peur : peur de la mort pour certains ou peur de perdre un proche pour d’autres. Petit à petit on voit des vendeurs de grigris et porte-bonheurs arpenter les rues à Quimper : c’est toute une nouvelle activité économique qui se développe autour de ce phénomène.

Les familles de Cornouaille envoient des amulettes ou des prières dans les effets des poilus. Sur le front, des soldats réalisent des bagues ornées de trèfles à quatre feuilles qu’ils vendent aux camarades de l’arrière lorsqu’ils sont relevés.

Des bretons récupèrent les balles qui ont frappé un blessé ou un mort persuadés que cela les protégera. L’ankou sentant sur le porteur quelque chose qui a l’odeur de la mort, pensera qu’il est déjà passé et le laissera tranquille.