Yves Lebahy est géographe. Il décortique depuis longtemps l’aménagement du territoire breton et ses conséquences économiques et sociales. Il dénonce la métropolisation et propose des pistes pour un développement plus équilibré et plus juste de la Bretagne.

Première partie : les dérives de la métropolisation

L’aménagement d’un territoire est la traduction géographique d’une histoire, et de choix (ou de non-choix) politiques et économiques. Loin d’être anodine, l’organisation de l’espace a des conséquences sociales.

Dans ses trois ouvrages parus aux éditions Skol vreizh

  • Réunifier la Bretagne ? Régions contre métropoles avec Gaël Briand,
  • Où va la Bretagne ? avec Jean-Claude Le Ruyet,
  • Défis pour la Bretagne

Yves Lebahy, agrégé de géographie et ancien professeur d’École normale à Vannes, ancien enseignant du Master professionnel d’aménagement maritime et littoral l’Université de Bretagne Sud de Lorient, démontre les effets délétère de l’organisation du territoire en métropoles.

Un bonne santé économique bretonne en trompe-l’œil

Dans les années 1950/60, le Celib (Comité d’études et de liaison des intérêts bretons) était un réseau transpartisan qui posait la question de l’avenir de la Bretagne ; son délitement, puis sa disparition dans les années 1980 ont constitué un premier signe d’alerte. Et il semble aujourd’hui impossible de fédérer les acteurs bretons et de trouver des axes et des intérêts communs, au-delà des partis politiques et des positions économiques. Les temps ont changé. Yves Lebahy constate que le départ des jeunes de la région suscitait des inquiétudes à cette époque. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, alors que le mouvement continue… la « mobilité » professionnelle est perçue comme normale. Pourtant, la dynamique démographique bretonne est toujours aussi inquiétante : la population vieillit, le renouvellement est le fait de l’arrivée de populations âgées, essentiellement retraitées. Si le taux de chômage breton est l’un des plus faibles de France, ce n’est pas grâce au dynamisme économique mais parce que les actifs qui postulent ne sont pas très nombreux. Il manque à la Bretagne un tissu de PME et une activité industrielle ; la Bretagne s’est désindustrialisée comme partout en France, la construction navale est en crise, comme l’automobile, l’agriculture s’est effondrée (en nombre d’exploitants) et la transformation agroalimentaire suit la même pente. Certes, la Bretagne attire des cadres, ingénieurs ou chercheurs. Mais ce sont des postes d’élite qui ne peuvent occuper l’ensemble d’une population active. Comment créer des emplois si les activités primaires et secondaires n’existent plus ? L’exemple de Lannion est significatif, si la ville s’est montrée performante en recherche-développement, elle n’a jamais vu se développer une industrie locale liée à cette recherche… or, la concurrence internationale dans dans le domaine de la recherche atteint à son tour la petite ville des Côtes d’Armor. Que lui restera-t-il ?

la métropole : mythe issu de l’ultralibéralisme

La création de métropoles est un mouvement lancé dans les années 1970 : il s’agissait, pour attirer les compétences et doper sa compétitivité au plus haut, de proposer un cadre de vie et des services de très haut niveau à une élite, afin de résister à la concurrence internationale. En Bretagne, la métropolisation s’est faite autour de Nantes et Rennes pour attirer les « jeunes cadres dynamiques ».

Le problème, souligne Yves Lebahy, c’est la ségrégation sociale qui a suivi : la hausse des loyers a provoqué l’éviction des classes moyennes et populaires dédiées aux emplois « subalternes » ; la périphérie et l’étalement urbain ont suivi, générant  mouvements pendulaires, dépendance à la voiture, mais aussi sentiment d’être oublié et relégué. Le mouvement des Gilets jaunes est en quelques sorte une traduction des conséquences de cette organisation du territoire. Actuellement, on déplore l’artificialisation et on tente de « redensifier » la ville, mais cela devient de plus en plus difficile faute d’espace et on aboutit à une perte de respiration urbaine, laquelle serait pourtant bienvenue en période de réchauffement climatique… En outre, les usages cohabitent de plus en plus mal car les urbains ont perdu l’habitude de cohabiter vraiment.

Les ruptures spatiales et la fracture sociale

La métropolisation s’est en effet aussi accompagnée d’une rationalisation du territoire et d’une spécialisation des espaces : un territoire/une fonction. Au lieu de favoriser la mixité et une croissance harmonieuse, on a coupé des liens, rompu des échanges entre différents milieux sociaux ou professionnels, et on a finalement perdu en qualité de vie.

Quant à la « théorie du ruissellement » qui présidait à la construction des métropoles, elle se révèle, selon le géographe, un échec. Quand la métropole crée de la richesse – ce qui n’est pas toujours le cas – celle-ci ne profite pas à sa périphérie immédiate mais à d’autres parties du territoire national voire d’autres régions du monde.

En fait la Bretagne a connu un juste équilibre du territoire ; dans les années 1950, quand elle était quadrillée de communes denses et bien réparties dans lesquelles la mixité était de mise et autour desquelles une relative autonomie s’organisait.
Pour Yves Lebahy, seules la montée en puissance des régions et leur plus grande autonomie permettront de gérer au plus près la crise environnementale et les autres crises qui risquent de l’accompagner : économiques, sociales ou sanitaires…