Oublions tout ce qui nous assombrit et gagnons le paradis… ou plutôt les paradis. Celui des celtes d’abord, puis celui des chrétiens, revisité par les Cornouaillais.

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Je devrais dire les paradis car il en existait deux : un celtique qui est tombé peu à peu dans les oubliettes de l’Histoire mais que l’on retrouvait parfois au détour d’une légende ou d’une chanson de geste, et un chrétien.

L’ancien paradis celte retrouvé

Le Paradis celte, le séjour des âmes bien heureuses, était une île qui se trouvait à l’ouest, au-delà de l’océan. Un peu comme ces îles de l’Ouest que les elfes rejoignent à la fin du Seigneur des Anneaux.

On s’y rend par la mer. Dans ce paradis, cette île de l’Ouest, partout les couleurs, les musiques, les chants éclatent et la lumière rayonne, dans le ciel, la mer, la terre, les êtres, les animaux, les oiseaux, les poissons…

Partout la terre est riche et fertile. Les champs sont verts et couverts de fleurs. Les arbres plient sous des fruits d’or.

Les ruisseaux sont des liqueurs enivrantes qu’on peut boire à satiété, elles ensoleillent la tête sans jamais la faire chavirer. Les maisons des anaons ont toutes vue sur la mer et sont transparentes comme le verre. Les ancêtres y sont avec la barbe et les cheveux blancs, mais leur visage est jeune. Ils parlent le breton mystérieux de l’Autre Monde et attendent les nouveaux navigateurs.

Dans l’intérieur des terres, sur les collines, se trouve un immense château fait de pierres précieuses où tout est d’or et d’argent. Il s’agit de l’habitation des fées, belles comme le jour, aux cheveux de soleil et au teint d’écume…

Les fées sont toujours bonnes avec les marins et, parfois, elles quittent même leur île pour guider les navigateurs, mais cela est rare…

Les nouveaux arrivants sont accueillis par leurs ancêtres. Après quelques nouvelles du pays, de la famille et de la pêche, on boit une liqueur qui efface tous les soucis de la traversée.

Les fées arrivent ensuite. Chacun monte dans une barque flottant dans les airs, le nouvel arrivant y compris, et se laisse conduire par les fées.

Les barques et les mâts deviennent de cristal, les voiles de la soie fine et le reste, d’or et d’argent. À la barre, les marins chantent de bonheur. Ils arrivent au sommet d’une montagne où brille un grand feu qui les réchauffe et une grande lumière qui les éclairera éternellement. Les âmes sont alors préservées du froid et des ténèbres réservés, eux, aux enfers.

Cette île des bienheureux, nous pouvons la retrouver dans la légende du Roi Arthur car c’est là que Morgane l’emmène lorsqu’il est grièvement blessé dans sa dernière bataille contre son fils incestueux et maudit : Mordred. Cette île qui fait office de Paradis, c’est Avalon, l’île aux pommes d’or, l’île de l’éternelle jeunesse.

Le paradis chrétien version cornouaillaise

Le Paradis des chrétiens est plus connu, mais on y accède pas si facilement.

Nous savons déjà que les anciens de Cornouaille envisageaient le monde comme un mille-feuilles. Le Paradis était ce qui se trouvait tout en haut, par-dessus le ciel. Certaines âmes, une fois libérées du poids de leurs péchés, y arrivaient par voie aérienne. Elles devaient traverser trois rangs de nuages: le premier était noir, le second était gris et le dernier était blanc. Chaque rangée de nuage les débarrassait d’un peu de leur péchés. La nuit, les étoiles représentaient les âmes des morts se rendant au Paradis en suivant le chemin des âmes, c’était à dire la Voie Lactée. Les étoiles filantes étaient celles pour qui on avait dit des prières et des messes. Elles bénéficiaient, contrairement aux autres d’un ticket TGV pour arriver plus vite au Paradis.

Mais il était également possible d’y arriver par voie terrestre.

Au temps jadis, le diable, Polig, comme on l’appelle ici, mécontent de ce que tous les bretons mouraient en état de grâce et s’en allaient droit au Ciel, se présenta à la porte du Paradis pour se plaindre à Dieu de son iniquité. Celui-ci lui accorda les âmes bretonnes de tous ceux qui mourraient quand la lande ne serait plus en fleur. Satan se réjouit mais les mois passèrent et l’ajonc continua de fleurir quelle que soit la saison.
Furieux de s’être fait avoir, Polig planta des vignes tout autour de la Bretagne et récolta tellement de raisin que, pour écouler son vin, il ouvrit des auberges jusque sur la route du Paradis. Les Bretons qui s’y rendaient s’arrêtaient dans ces auberges pour se rafraîchir et le diable n’eut plus qu’à les happer lorsqu’ils en ressortaient fin saouls.

Selon Anatole Le Braz dans son livre sur la légende de la Mort en Bretagne, il y a quatre-vingt-dix-neuf auberges de la terre au paradis. L’auberge de mi-route s’appelle Bitêklè. Le bon Dieu vient y faire sa tournée une fois par semaine, le samedi soir. Il emmène avec lui en paradis les clients qui ne sont pas trop soûls avant que le diable ne les cueille à la sortie.

Le conte de Cornouaille le plus connu et qui concerne un voyage vers le Paradis est celui qui fut conté à Anatole Le Braz par Louise Le Bec de Scaër et qui s’intitule : Le boiteux et son beau-frère, l’ange.

Le Paradis est une ville immense, infinie, au-dessus de laquelle volent des milliers, peut-être des millions, d’anges.

Ce n’est pas une ville au sens où nous l’entendons, car contrairement à celles que nous connaissons, cette cité ne fait qu’un avec la Nature.

Elle est traversée par un grand fleuve tranquille sur les berges duquel poussent des arbres fruitiers, chacun ayant dix mille branches avec dix-mille fruits différents et visiblement savoureux vu le nombre de personnes qui en cueillent.

Partout dans la ville, par terre ou dans les arbres, les habitations sont en or et rayonnent de lumière et de chaleur douce.

Il y a aussi, sur chaque place, des fontaines de lait et de miel. Toutes les espèces d’animaux y circulent librement et paisiblement, en harmonie totale avec les hommes, les femmes et les enfants qui vivent ici. De splendides oiseaux multicolores bercent tous les habitants de leurs chants magnifiques. On s’y sent vraiment bien.