La crise sanitaire a secoué les restaurants mais démontré l’appétit des Français pour une cuisine réalisée par des professionnels. Comment le métier de cuisinier peut-il s’adapter pour proposer à tous les publics une alimentation de qualité ? On fait le tour de la question avec Xavier Hamon, cuisinier et fondateur de l’Université des sciences et pratiques gastronomiques de Quimper.

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Une fois par mois dans Lem, on s’installe à la table de l’Université des sciences et pratiques gastronomiques pour s’interroger sur la cuisine, l’alimentation au sens large, de la production à la dégustation… comme phénomènes sociaux, environnementaux, économiques.

Aujourd’hui Xavier Hamon, cuisinier, se penche sur ce métier, ses évolutions depuis plusieurs années, et surtout son avenir. La crise sanitaire a fortement secoué le modèle du restaurant tout en soulignant l’importance du métier de cuisinier. La plupart des mangeuses et mangeurs ne souhaitent ou ne peuvent cuisiner et vont donc se tourner vers les professionnels de la cuisine.

Pour autant, le métier va plutôt mal, il souffre d’un manque chronique de main d’œuvre. La transformation des aliments est un vaste domaine qui semble osciller entre deux pôles : l’industrie incarnée par les chaînes, de fast-food ou autres, les grands groupes des restauration collective, les fabricants de mets prêts à assembler d’un côté, et de l’autre des chefs étoilés qui ne régalent qu’une élite (2% de la population).

Est-on condamné à cette seule dichotomie entre malbouffe et haute gastronomie ? Il existe bien des artisans cuisiniers capables de transformer des produits qu’ils ont eux-mêmes sélectionnés en prenant le temps de connaître leurs producteurs, avec un souci de régaler un public aux moyens limités, mais quelle est la reconnaissance pour ces professionnels ?

Revisiter la formation professionnelle à la cuisine

Cuisiner professionnellement, ce devrait être avant tout savoir s’adapter : à des produits – locaux, rémunérateurs pour les producteurs et compatibles avec la préservation de l’environnement – mais aussi à la clientèle, dont les attentes ont bien changé ces dernières années du fait des nouveaux goûts, des préoccupations sanitaires ou des aspirations communautaires. Au début des années 20210, a émergé la demande d’une alimentation plus végétale (végétarienne ou végane). Or, la formation de base des cuisiniers (CAP ou titre professionnel) reste largement axée sur la viande. Le souci de santé s’accorde mal avec une alimentation riche, pourtant toujours enseignée prioritairement. C’est donc déjà de ce côté qu’il faut remanier les formations professionnelles à la cuisine : privilégier le végétal, en faire le centre des plats, mais aussi alléger et équilibrer. La mondialisation a aussi fait son œuvre et le goût de l’exotisme est à prendre en compte.

En outre, la formation doit élargir l’horizon. Il ne s’agit plus seulement de technique culinaire, de manipulations des instruments et d’initiation à la chimie… cuisiner en sachant s’adapter c’est être à l’écoute de ses fournisseurs et de leurs contraintes, pourquoi pas immerger quelques jours les futurs cuisiniers et cuisinières dans une ferme ou chez un maraîcher ? A l’autre bout de la chaîne, des notions de sociologie, d’anthropologie seraient utiles pour comprendre les attentes des clientèles dans toutes leurs diversités. En réalité, pour former un bon cuisinier, il faut une dizaine d’années. Parce que son apprentissage se fait aussi de rencontres, d’expériences, d’expérimentations et qu’on ne peut acquérir cette culture générale alimentaire en quelques semaines ou quelques mois.

Un statut du cuisinier-artisan

Reste la question du revenu. Qu’il soit chef étoilé traditionnel ou militant associatif comme ce chef qui a ouvert au Pays Basque un restaurant à trois tarifs, pour toutes les bourses, où on se sert soi-même mais où on peut déguster de bons produits locaux joliment transformés, le professionnel ne gagne pas toujours réellement sa vie. C’est d’ailleurs la clé de la désaffection dont souffre le métier.
Mais puisque après tout la Politique agricole commune subventionne des producteurs pour les services qu’ils rendent en matière de biodiversité, de conservation des espèces ou de préservation des milieux, on peut très bien envisager de rémunérer par des fonds publics les artisan/e/s qui travaillent dans le sens d’une cuisine accessible, de qualité, qui préserve des filières locales et la santé des mangeuses et mangeurs. Tout est affaire de choix politique.

Reste à la profession à faire pression pour une reconnaissance de ce savoir-faire et de ce savoir-être. L’Alliance des cuisiniers slow food s’apprête donc à travailler sur un statut du cuisinier-artisan, assorti d’un régime fiscal et comptable de soutien.