Géographe, Antoine Lauginie est aussi un grand lecteur. Il nous transmet son paysage personnel du Finistère où il vit depuis un an, en particulier la baie de Douarnenez et la rade de Brest. Et il nous promène au fil des textes de Georges Perros, Michel Le Bris, Hervé Bellec, Nicolas Bouvier…

Antoine Lauginie a vécu dans de multiples coins de France. Il a fait sa thèse de géographie sur une zone rurale fragile, les grands causses en Lozère. Il a aussi travaillé dans les Mauges, le Choletais, en Languedoc-Roussillon et au-delà, il a été brocanteur et enseignant en éducation socio-culturelle dans un lycée agricole de Rhône-Alpes. C’est alors qu’il s’est intéressé à l’influence de la culture littéraire ou cinématographique sur le regard qu’on porte sur un paysage ou un territoire.

Quand il a songé à réorienter sa vie et cherché un nouveau point de chute, Antoine Lauginie a hésité entre le fond de la rade de Brest et Douarnenez qu’il connaissait déjà pour y avoir passé des vacances, y compris en hiver, et pour avoir navigué dans les eaux de l’Iroise.

Depuis un an, il est en disponibilité et travaille à différents projets, liés aux arts et lettres ; il parcourt aussi le territoire essentiellement à vélo et à pied. Et il aime vivre ici. Dans cette émission, il nous propose quelques extraits d’auteurs qu’il associe à ses propres sensations finistériennes.

Pour comprendre cette approche, il nous lit Georges Perros, grand poète qui a quitté Paris pour s’installer à Douarnenez : extrait de « Marines », dans le recueil Poèmes bleus

Je t’invite à chercher avec moi
A chercher et gratter et palper
A mettre l’aiguille adéquat
Sur la cire molle
De cette carte encore imaginaire
Dont je te propose l’exploration
Dont je te demande de parcourir
Les lieux de haute sensibilité.
Que mes faibles mots
Profitent un peu du miracle
De nos mémoires conjuguées
Afin qu’au terme du voyage
Nous entendions battre le cœur
Fût-ce faiblement
De ce pays à l’extrême-ouest de l’Europe
Que l’on appelle la Bretagne,
Ou plus précisément,l’Armor…

On y perçoit combien chaque personne arrive dans un lieu munie de sa bibliothèque personnelle qui va entrer en écho avec ce qu’on voit, ce qu’on ressent et ce qu’on vit du lieu. Georges Perros était un solitaire qui pourtant adorait passer du temps dans les cafés de Douarnenez. Antoine Lauginie s’y retrouve car il aime contempler les paysages littoraux mais apprécie aussi les échanges humains ; c’est pour cette raison qu’entre la Lozère dont il aimait aussi les grands espaces et le Finistère, il a choisi les horizons marins car ils sont encore assez peuplés. On peut y croiser et y échanger avec les gens, même s’il y a moins de bistrots que du temps de Perros.

Perros partage aussi son ambivalence et évoque une « douleur » d’être là… car être en Bretagne n’est pas toujours facile, notamment quand il pleut et qu’il vente pendant les mois noirs. Pour lui, l’attachement à un lieu est affaire de temps qu’il fait et de temps qui passe : « Il est long à se déclarer ce pays, on n’en perçoit pas tout de suite le tressaillement organique. »
Un point de vue que partage Antoine ; le géographe apprécie particulièrement Moulin Mer à Logonna-Daoulas, le sentier des Plomarc’h à Douarnenez… et il confirme que peu de lieux peuvent suffire, pourvu qu’on y vienne toute l’année, en toutes saisons.

Michel Le Bris dans son Abécédaire intime, conte ainsi son coin d’enfance au bord de la baie de Morlaix,  territoire qu’il nous décrit comme « minuscule » mais qui, pour qui sait le contempler et l’explorer à fond, devient un monde immense ! C’est ici que l’écrivain a puisé son goût du voyage, jusqu’à créer le festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo.

Hervé Bellec, écrivain de route, plutôt marcheur (et cycliste) nous raconte quant à lui dans Une heure de sommeil en moins, la départementale 23, sa « voie sacrée » : « glissant comme un filament du pays Fisel au pays Pourlet qui court de Rostrenen à Guéméné-sur-Scorff à cheval sur le Morbihan et les Côtes d’Armor ».

Nicolas Bouvier enfin, résume cette idée : si on est sensible à un paysage, à un lieu, on en est saisi une fois pour toute.

Le point de non-retour

C’était hier
plage noire de la Caspienne
sur des racines blanchies rejetées par la mer
sur de menus éclats de bambou
nous faisions cuire un tout petit poisson
sa chair rose
prenait une couleur de fumée

Douce pluie d’automne
coeur au chaud sous la laine
au Nord
un fabuleux champignon d’orage
montait sur la Crimée
et s’étendait jusqu’à la Chine
Ce midi-là
la vie était si égarante et si bonne
que tu lui as dit ou plutôt murmuré
« va-t’en me perdre où tu voudras »
Les vagues ont répondu « tu n’en reviendras pas »

Nicolas Bouvier, Le Dehors et le Dedans, in Poésie Points