La guerre en Ukraine et la candidature de ce pays à l’entrée dans l’Union européenne oriente de nouveau les regards vers la question de l’élargissement. D’autres pays frappent aux portes de l’UE et notamment ceux des Balkans occidentaux. Breizh Europe Finistère revient sur les dernières actualités à ce sujet.

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Par Josselin Chesnel, cofondateur de Breizh Europe Finistère

L’élargissement européen revient dans l’agenda politique

Il nous a semblé important d’évoquer ce sujet qui n’est pourtant pas des plus glamour – si l’expression m’est permise, notamment en France.Et on va même s’intéresser de plus près aux États des Balkans occidentaux particulièrement. Pour mémoire, cela représente 6 pays en tout : l’Albanie – elle a le statut de candidate à l’UE depuis 2020 –, la Bosnie-Herzégovine – son statut de candidate est à venir très prochainement, si on en croit les dernières déclarations de la Commission européenne –, le Kosovo – lui ne dispose pas du statut de candidat pour de multiples motifs politiques difficiles à surmonter à l’heure à laquelle je m’exprime –,  la Macédoine du Nord a le statut de candidate depuis 2020 –, le Monténégro a le statut de candidat depuis 2012 et enfin la Serbie a le statut de candidate depuis 2014.

Pourquoi, donc évoquer l’élargissement maintenant ? Assez simplement parce que l’actualité de la guerre d’invasion menée par la Fédération de Russie en Ukraine a remis sur la table l’essence même du projet européen initial, à savoir celui d’arrimer à l’Union les États du continent désireux de paix et de prospérité.

La Communauté politique européenne

Pour mémoire, le dernier élargissement remonte à 2013, avec la Croatie, qui intégrera par ailleurs également la zone Euro dès le 1er janvier 2023.

L’actualité, c’est l’annonce faite à Prague, en Tchéquie, le 6 octobre 2022, de la création d’une grande Communauté politique européenne, conformément au vœu formulé par le président François Mitterrand il y a plus de 30 ans alors qu’il avait souhaité une Confédération politique.  Plus récemment le président du Conseil italien d’il y a peu, Mario Draghi, et le président de la République française Emmanuel Macron ont relancé le processus

Quel est L’enjeu ? À défaut d’arrimer les Etats tiers de l’UE tout de suite à cette dernière économiquement et juridiquement – il s’agit de le faire politiquement. L’enjeu, puisque nous avons des intérêts stratégiques militaires, énergétiques et politiques communs : permettre la création de l’entité qui permettra le dialogue à l’ensemble de ces égards (et, peut-être, un jour, adhérer à l’UE).

C’est donc la logique de l’élargissement qui se poursuit. Je préfère par ailleurs parler de complétion, et je vais bien entendu en expliquer les motifs.

En effet, complétion plutôt qu’élargissement parce qu’au terme des élargissements de 1973 (le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni), de 1981 (la Grèce), de 1986 (l’Espagne, le Portugal), de 1995 (l’Autriche, la Finlande, la Suède), de 2004 (Chypre, l’Estonie, la Hongrie, Malte, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la Tchéquie), de 2007 (la Bulgarie, la Roumanie) et de 2013 (la Croatie donc), qui nous ont fait parvenir peu à peu des 6 États fondateurs (à savoir la France, la Belgique, les Pays-Bas, Luxembourg, l’Italie et l’Allemagne de l’Ouest en 1958) à 28, avant de repasser à 27 après le retrait du Royaume-Uni du fait du Brexit (voté par referendum en 2016).

L’idée a toujours véritablement été celle de construire ensemble un projet européen autour du Marché commun et des idéaux de paix et de prospérité, inatteignables dès lors que l’UE n’était justement pas considérée complète. C’est ça, l’idée du projet européen qui se construit depuis 1957 et le traité de Rome, et plus encore depuis 1992 et le traité de Maastricht qui a consacré l’Union et la citoyenneté européennes.

C’est justement également cette idée qui a guidé la Commission européenne, le Conseil européen, le Conseil de l’UE et le Parlement européen quand ils se sont peu à peu prononcés en faveur du statut d’États candidats pour la Moldavie et pour l’Ukraine, jusqu’à juin dernier, pour des raisons liées aux destins bien sûr éminemment européens de ces nations du Vieux Continent, raisons plus prégnantes encore au révélateur de la guerre menée par la Russie en Ukraine. C’est également cette logique qui doit encore guider les décideurs des Vingt-Sept dans le cadre des volontés d’adhésion issues des Balkans occidentaux.

Le cas des États des Balkans occidentaux

Pour l’expliquer, le retour sur l’histoire récente peut être passionnant. En fait, le sentiment général dans les Balkans est que ça patine depuis un moment. Effectivement, la question de l’élargissement est permanente au sein des institutions et nations européennes, depuis le 1er janvier 1973 et le premier élargissement de la Communauté économique européenne – la CEE.

Et pourtant on n’a pas posé cette question tout de suite aux États des Balkans occidentaux, car ils étaient tous communistes jusqu’aux premières déclarations d’indépendance (à savoir celles de la Slovénie et de la Croatie en juin 1991).

Une autre raison essentielle pour laquelle on a laissé ces États « à part » du Vieux continent est liée aux guerres qui ont agité la région, souvent sanglantes et douloureuses.

Pour comprendre ces conflits, il suffit d’avoir à l’esprit :

  • la disparition d’anciennes entités frontalières et la création de nouveaux États après l’effondrement des régimes communistes,

  • les tensions économiques, les dynamiques identitaires et les nationalismes exacerbés,

  • ou encore l’instabilité permanente, en plus effectivement de la terreur des guerres successives.

Dès 1989, au lendemain de la chute du rideau de fer, la région des Balkans occidentaux a notamment connu et traversé une série de conflits meurtriers, à l’exception notable de la Slovénie où le phénomène de guerre a pris fin très rapidement.

Le cas slovène est même particulièrement intéressant. La Slovénie est en fait devenue le premier pays anciennement communiste à prendre la présidence de l’Union, mais ce pays a aussi été le premier État membre de l’UE à adopter l’euro sans période de transition.

Si on compare son cas à celui de L’Albanie, cette dernière fait figure de contre–illustration : elle s’est d’abord orientée vers la République populaire de Chine, ce qui l’a un moment condamnée à un certain isolement vis à vis de l’Europe de l’Ouest d’ailleurs.

La Serbie aussi a pu opter pour de pareilles logiques, jusqu’à très récemment même. Il est intéressant de constater combien la Serbie, justement, peut simultanément tenter de jouer dans le camp des Européens et dans celui des Russes… Ce sont les alliés historiques et culturels naturels de la Serbie qui a du mal à couper les ponts en dépit de la guerre en Ukraine, au risque de n’être clairement pas prise au sérieux à Bruxelles.

Maintenant, au-delà des Européens, des Chinois et des Russes, pour bien préciser la nature extrêmement stratégique de ce coeur européen géopolitique, d’autres puissances tentent de jouer leurs partitions dans les Balkans.

Il y a bien sûr les Etats-Unis (notamment au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine) et la Turquie (dans les mêmes pays avec l’Albanie en plus).

D’aucuns continuent d’évoquer une région balkanisée, fragmentée, atomisée – et font mine d’ignorer les efforts considérables entrepris par les États de la région depuis plus de 30 ans…

Pourtant, on pourrait très bien souligner aussi que le monde lui-même s’est balkanisé, ce que personne ne peut franchement nier, comme le démontre quotidiennement non seulement l’actualité à l’Est de notre Union européenne, mais bien sûr également celle au coeur de l’Europe.

La complétion de l’Union européenne, peut donc être un instrument pour dénouer ce nœud en s’appuyant sur ces justement sur ces États enclavés. Aujourd’hui les Balkans sont encerclés par les États membres de l’UE à leurs points cardinaux, mais aussi par l’État-carrefour qu’est la Turquie au sud.

La position géographique des Balkans occidentaux est donc effectivement un élément essentiel à appréhender. Bref, c’est l’enjeu de la construction politique d’une UE–puissance qui est mis sur la table. La question est de savoir si on la souhaite ou non, cette UE–puissance.

Il y a donc eu quelques avancées de l’UE en direction des Balkans occidentaux, mais avec quelles lenteurs ! En octobre 2019, la France s’est même fait remarquer par le refus de son président de la République d’ouvrir la procédure d’adhésion à l’Albanie et à la Macédoine du Nord.  La France s’est montrée soucieuse d’ajourner le processus en amont, et donc de réformer l’acquis communautaire, pilier des critères dits de Copenhague, adoptés en 1993 et qui formalisent les conditions d’accession à l’UE.  C’est sans doute la position la plus marquante de la période contemporaine, l’hostilité française à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Pour justifier cette hostilité, la France a pris prétexte que l’approfondissement était préférable à l’élargissement (depuis des années, c’est néanmoins surtout la Bulgarie qui bloque toute avancée vers l’élargissement à la Macédoine du Nord tout particulièrement.

Chez Breizh Europe Finistère, nous pensons que ça n’est pas antinomique, et qu’un approfondissement qui passe par une réforme profonde des traités avant tout nouvel élargissement est tout à fait souhaitable, justement.

En fait, les processus d’adhésion et les exigences de l’UE ne suscitent plus aujourd’hui l’enthousiasme populaire des années 2000, l’UE et ses peuples ayant sans doute été trop ébranlés par les différentes crises économiques et politiques qu’ils ont pu traverser avant la guerre actuelle en Ukraine.

Mais des pays comme l’Albanie et la Macédoine du Nord ont fait beaucoup de réformes depuis 2018, notamment dans la justice et la police. Ils ont aussi renforcé leurs rôles de gate keepers, c’est à dire de contrôleurs externes des frontières de l’UE.

L’idée qui nous anime dans la défense de l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE, c’est vraiment que ces États soient reconnus comme candidats au début du processus – à l’instar de l’Ukraine et de la Moldavie depuis juin dernier, c’est tout.

C’est tout, sans quoi ce sont des causes de souffrances vives pour les sociétés concernées. Elles auront l’impression aussi que l’UE ne tient pas ses promesses, au contraire de la Chine, de la Turquie ou même de la Russie. C’est un risque absolument majeur alors qu’il est maintenant clair pour beaucoup de monde qu’il est urgent de réunir les Européens. En gros, les promesses non tenues de l’Union n’en font pas un partenaire crédible dans la compétition avec les autres puissances, ce qui l’affaiblit considérablement.

En fait, l’Union européenne est extrêmement attractive partout : tous les États tiers du voisinage recherchent le statut de candidats à l’adhésion et sont prêts à produire les efforts afférents. On ne peut donc pas regarder ailleurs.

Les freins à l’élargissement de l’UE

Alors qu’est-ce qui justifie les nombreuses oppositions entendues ici et là en Europe contre l’élargissement aux Balkans occidentaux, ou en tout cas contre la complétion de l’Union européenne par les États de la région ? Il y a vraiment plusieurs motifs indiqués, de l’impréparation des institutions politiques et judiciaires des pays en question à la fragilité économique et commerciale de certains autres. C’est vrai que dès lors que l’UE entretient des relations multiformes avec l’ensemble des pays de la région.

L’Union a notamment développé une relation contractuelle fondée sur la signature d’accords de stabilisation et d’association pour les hisser sur le chemin européen (comme étape préalable à l’adhésion), on demande des ajustements de nature économiques.

L’UE exerce aussi une influence conséquente différemment, notamment depuis février 2018, par l’adoption d’une Stratégie pour les Balkans occidentaux, politique et diplomatique d’une part, économique et commerciale d’autre part. L’idée est que si les préconisations de l’UE sont suivies, alors les pays obtiennent des aides et des subventions. Sinon : la situation est gelée.

De fait, l’UE est donc, et de loin, la première contributrice des programmes de reconstruction de ces États.

Je propose toutefois qu’on évoque aussi les sujets de la démographie et de la religion, qui sont d’autres motifs entendus ici et là justement.

Sur la démographie par exemple : d’aucuns ont en effet avancé, pour motiver leur refus des futures adhésions à la région, l’élément démographique. C’est une interrogation curieuse, car si le cas de la Turquie par exemple, forte de ses plus de 80 M d’habitants, pouvait nourrir cette préoccupation, la question ne se pose pas dans le cadre de l’intégration des États des Balkans occidentaux. Si on fait le total des populations de la région, ça fait environ 2 millions d’habitants en Slovénie, 4 millions en Croatie, 6 à 7 millions en Serbie, moins de 2 millions au Kosovo, 2 millions en Macédoine du Nord, 3 millions en Bosnie-Herzégovine et 670 000 habitants au Monténégro…ça fait donc entre 18 et 20 millions d’habitants, contre 23 millions en 1989, par ailleurs…c’est donc dire l’inanité du propos. En 30 ans, juste pour l’illustrer, les Croates ont perdu plus de 20 % de leur population totale… C’est dire la déprime démographique !

La question de la religion est aussi une inquiétude qui est parfois relevée, notamment dans les sociétés européennes traditionnellement catholiques ou orthodoxes. Parlons clairement : on parle d’islam. C’est donc la question de l’avenir européen d’États comme l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine ou encore le Kosovo qui est posée. Parfois, ça n’est pas dit, mais on sent bien que c’est le problème majeur pour les décideurs européens, même si l’islam de Bosnie-Herzégovine est inoffensif, même si en chiffres absolus – si tant est que cela constituait un éventuel problème…le nombre d’individus musulmans représente en fait peu de gens, et même si en Albanie, pour des raisons historiques liées à l’histoire communiste laïque extrêmement sévère du pays, la déstructuration religieuse est en fait très développée. C’est d’autant plus intéressant à traiter qu’il s’agit en fait d’un islam européen, qui combine pluralité, démocratie, et coexistence là où il est pratiqué, notamment en Bosnie-Herzégovine Dans ce pays, les entités politiques et judiciaires sont en fait des entités ethniques et confessionnelles.
Au regard des difficultés parfois ressenties en Europe de l’Ouest vis à vis de la question, on a peut-être beaucoup à apprendre de ces nations. Si le slogan de l’UE est « Unie dans la diversité », cela ne doit pas demeurer théorique mais être mis en pratique. Non… ?

Les critères de Copenhague et l’acquis communautaire pour adhérer à l’Union européenne

L’acquis communautaire, c’est une expression consacrée du droit de l’UE. Il se compose d’une trentaine de chapitres à clore dans le cadre des négociations entre les États candidats à l’UE et l’UE elle-même. Son objectif repose dans la nécessité, pour les pays candidats, de mettre en place les réformes nécessaires à la transposition du droit de l’Union dans le droit national avant toute adhésion effective.

Les critères de Copenhague, applicables à tous les pays qui souhaitent adhérer à l’Union, ce sont :

  • des institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, le respect des droits de l’homme, des minorités et leur protection ;
  • une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union ;
  • la capacité d’assumer et de mettre en oeuvre efficacement les obligations découlant de l’adhésion à l’UE, et notamment de souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

J’espère avoir, non pas convaincu du bien fondé des élargissements/de la complétion de l’Union, mais avoir fait comprendre l’ambiguïté des vocations politiques, l’intensité des relations qui se font et qui se défont et, quelque part, l’immensité des défis qui demeurent.

Car s’il fallait résumer l’enjeu, je pense qu’il faut souligner combien il est crucial de lier bien davantage les États des Balkans occidentaux à l’UE pour les sécuriser eux, mais également nous sécuriser nous, Européens.

Jusqu’ici, les processus d’adhésion ont permis aux nations et à leurs citoyens de ne pas sombrer dans le pire, de se doter d’une perspective d’avenir. On peut penser à l’Espagne, à la Grèce ou au Portugal, qui avaient connu peu de temps avant leurs adhésions respectives des dictatures terribles.

En fait, la perspective de l’adhésion de 6 États supplémentaires à l’Union fait pleinement partie de la contribution européenne, sinon à l’apaisement des tensions subsistantes, au moins au renforcement de l’Union démocratique et géopolitique. Si nous pensons qu’il faut soutenir l’adhésion des pays des Balkans occidentaux dans l’UE, c’est donc aussi et enfin parce qu’ils font partie, géographiquement, historiquement et culturellement, de notre Europe commune.