Ce mois-ci, la géographie littéraire d’Antoine Lauginie est totalement bretonne, mais plus humaine que physique ou paysagère. Elle relève souvent de l’imaginaire, est traversée de nostalgie et elle trahit aussi des réalités sociales et politiques que les écrivaines et écrivains ont si bien su traduire : Michel le Bris, Xavier Grall, Élisée Reclus, Julien Gracq et Odette du Puigaudeau.

Jusqu’à présent dans cette émission, Antoine Lauginie s’est plutôt concentré vers la géographie physique : éléments, paysages, reliefs de Bretagne ou du Massif central, l’autre territoire cher à son cœur et qu’il aime lire aussi. Mais la géographie humaine a aussi inspiré les autrices et auteurs comme on le constate cette fois au travers d’une exploration de l’identité bretonne vécue par 3 écrivains ou poètes et au fil des descriptions ethnographiques de deux autres plumes dans les années 1930…

« Nos Bretagnes à nous sont toujours intérieures » ou la nostalgie d’un pays chimérique

Nous retrouvons Michel le Bris et ce qu’il nous dit de l’identité bretonne dans son Abécédaire intime : « nos Bretagnes à nous sont toujours intérieures » affirme l’écrivain qui voit en l’ « identité bretonne, une évidence et un problème(…) Les choses se compliquent dès que nous tentons de préciser les contours de cette identité. De tous les mystères de l’âme humaine, il n’en est pas de plus étrange que cette nostalgie d’un pays chimérique ». Le Bris se risque néanmoins à décrire les composantes de cette identité et notamment ses contrastes « un goût particulier pour le blotti, l’intime, les chemins creux, maisons enfouies dans la végétation, fontaines cachées et en même temps l’ivresse du grand large, des cieux immenses, de l’ouvert… »

Dans son poème fleuve, « Le rituel breton » l’expérience intime et personnelle de Xavier Grall se teinte elle aussi d’universel, d’autant plus que le poète a parcouru le vaste monde :

Te nommant, Armorique
je nomme le cap des hautes terres
te nommant, Armorique
je nomme le risque et la dérade
et le chemin des courlis
et l’espérance de Java
     et de Bali.

Te nommant, je nomme tout songe
et les Missouri bleus
et les Mékongs laqués.
Te nommant je dis les îles
et le vent et les joies déhâlées.
Ah me voici comme un malamock blessé.

Cette nostalgie, on la retrouve aussi, plus étonnamment, dans l’ouvrage savant et complet qu’édita le géographe universaliste de la fin du XIXe siècle Élisée Reclus. Au chapitre consacré à la Bretagne, après la description objective de la région, le lyrisme s’empare de lui  : « Souvent un ciel bas et sombre pèse sur l’espace et donne à la nature entière une physionomie de tristesse et de désespoir. Pendant les beaux jours, la mélancolie de la terre et du ciel fait place à une joie tout intime et contenue, si discrète qu’elle ose à peine se révéler. On la sent mais elle ne se montre pas, tels sont les paysages de la Bretagne. »

Un autre monde : la société de l’extrémité des terres à la fin des années 1930

Paysage et société sont aussi très liés dans les écrits de Julien Gracq et Odette du Puigaudeau. L’un quand il enseignait à Quimper nous brosse le portrait d’un littoral bigouden dont il lie les paysages et les idées humaines « le communisme des hommes était un doublé du catholicisme des femmes ». Sa description de Penmarc’h est ainsi marquée par la présence des badauds, essentiellement les pêcheurs. « Penmarc’h surtout. Quand je débarquais du car aux environs de la cale, le remue-ménage des lourdes silhouettes aux dandinements d’ours, bâchées de bleu et de rose saumon, faisait penser à une colonie de naufragés placides (…) ils avaient l’air d’attendre sans impatience l’arrivée d’un bateau qui vint les dépanner. »

Avec l’exploratrice ethnologue Odette du Puigaudeau, nous débarquons à l’île de Sein, frappés par les yeux verts des Insulaires, et nous découvrons leur sens du partage et de la communauté si aigus. Alors qu’elle cherche à acheter du lait frais (d’une des 5 vaches de l’île), des œufs ou de la viande, elle comprend comment on rationne et répartit ces différents produits, équitablement : « On partageait au plus juste, comme des naufragés sur un radeau. Personne ne songeait à tricher ou à profiter, on était sur l’île entre honnêtes gens, c’était bien agréable. »

Bibliographie de l’émission

  • Abécédaire intime – Michel le Bris – Éditions Écriture – 2021.
  • Œuvre poétique – Xavier Grall – Éditions Rougerie – 2011.
  • Nouvelle géographie universelle – Tome 2 : La France – Élisée Reclus – Librairie Hachette et Cie – 1877.
  • Carnets du grand chemin – Julien Gracq – Librairie José Corti – 1992.
  • Grandeur des îles – Odette du Puigaudeau – Éditions Payot & Rivages – 1996

Musique : Didier Squiban – «  An skoliater » – extrait de la suite n° 2 « Ker Eon » plage 9 du disque « Molène – Suites pour piano »- L’OZ Production – 1997