Après avoir fait la connaissance des requins-taupes communs, on retrouve la chercheure Sandrine Serre (LEMAR/UBO-APECS) qui étudie les déplacements d’une vingtaine de femelles dans la Manche.

Sandrine Serre, doctorante au LEMAR

Réécoutez la précédente émission sur la biologie et le comportement des requins-taupes communs

Le requin taupe – Lamna nasus – a la particularité d’être endotherme. Autrement dit, il peut réguler sa température corporelle (dans une certaine mesure) grâce à un mécanisme de « réchauffement » interne. Cela lui permet notamment de rester plus longtemps dans les eaux plus froides (donc plus profondes) sur une grande amplitude de 5 à 15 degrés. Même s’il ne peut pas rester immobile (il doit nager sans cesse pour s’oxygéner), Lamna nasus peut cependant rester en zone profonde plus longtemps que bien d’autres espèces de requin ou de poissons. Comme il perd moins d’énergie en eau froide que d’autres, le requin-taupe commun d’Atlantique nord (différent génétiquement de son homologue d’Atlantique sud) peut donc parcourir de grandes distances. On parle même de migrations dans son cas si les déplacements sont réguliers dans le temps et l’espace. D’autres études montrent en effet que Lamna nasus migre l’été vers la côte (fonds de 0 à 200) et vers le milieu océanique en hiver. C’est essentiellement l’alimentation qui détermine les déplacements du requin-taupe commun mais aussi la reproduction (vers les zones plus favorables aux petits).

Des Manchoises qui ne migrent pas comme leurs congénères

Pourtant, les spécimens que Sandrine Serre étudie au sein du Laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMAR) dans le cadre du programme de  l’APECS – association qui étudie et protège les requins et les raies – ne migrent pas. Elles ont même l’air de grandement se plaire dans la Manche, au large du Trégor, au point que la chercheuse les a surnommées les Manchoises. Elles… car tous les requins-taupes communs capturés pour le programme sont des femelles.

Au total, Sandrine et ses collègues de l’APECS ont pêché 19 femelles qui ont été dotées de balises, fixées sur le dos des poissons, de sorte à les gêner le moins possible et à rester en place le plus longtemps possible (idéalement un an). Neuf balises ont pu être récupérées, ce qui offre alors des données plus précises et plus détaillées qu’un suivi à distance (la balise « émet » de temps à autre des données de synthèse). Un seul individu a conservé sa balise une année entière. Si vous même trouvez une balise échouée sur la plage (cf photo de couverture) contactez le constructeur qui saura l’attribuer au programme de recherche adéquat.

Des oscillations verticales en suivant les maquereaux

Les données recueillies montrent donc que les Manchoises restent largement sur place, à part deux qui se sont échappées un mois ou deux, l’une vers l’Islande, l’autre vers le centre de l’Atlantique nord. Les femelles oscillent cependant verticalement chaque jour, entre zone épipélagique et zone mésopélagique (plus profonde, au delà de 200 m) vraisemblablement au gré des déplacements des espèces qu’elles aiment chasser (maquereaux ?). Horizontalement, on peut seulement estimer la trajectoire des Lamna nasus mais pas encore déterminer si elles suivent des trajectoires directes ou si elles musardent en zig zag.

Quant à savoir pourquoi les Lamna nasus observées par Sandrine Serre sont si sédentaires, on peut juste émettre l’hypothèse que ce comportement est lié à la raréfaction des ressources alimentaires au large.