Où en sont les rapports entre les médias et les institutions de l’Union européenne ? Breizh Europe Finistère se penche sur ce sujet alors qu’Arte annonce la suppression de son émission

Par Maël Cordeau

On attend encore la confirmation de la chaîne de télévision Arte mais son émission intitulée 27 diffusée le dimanche en début de soirée serait en passe d’être supprimée. Le titre de l’émission fait référence aux 27 États membres de l’UE puisqu’ il s’agit d’un magazine exclusivement consacré aux sujets de sociétés en Europe. La journaliste Nora Hamadi y invite et interroge diverses experts pour en discuter.
Si cette annonce était confirmée, ce serait un coup dur pour la place du sujet européen dans les médias français.

Nous y reviendrons mais la France est le dernier pays du classement lorsque l’on demande aux Européens s’ils ont entendu parler d’informations européennes que ce soit à la télé, dans la presse écrite ou encore à la radio. Pourtant la chaîne franco-allemande Arte est le média le plus européen de France donc s’il supprime l’un des derniers magazine consacré à l’UE, que restera-t-il ?

Liberté de la presse européenne en recul

Aujourd’hui, la liberté de la presse suscite également quelques interrogations depuis le 24 février 2022 et l’attaque de l’Ukraine par la Russie. La propagande de guerre est revenue sur le devant de la scène, les journalistes doivent compiler avec cela, les fake news vont de bon train, comment se porte la presse dans l’Union européenne ?
Le sujet est très vaste puisqu’il répond aux diverses dynamiques nationales et aussi à l’essor fulgurant des plateformes en ligne qui souhaitent proposer une alternative aux médias dits « mainstream », autrement dit les médias d’informations à grande échelle, on peut aussi les appeler médias de masse.
De manière générale, en Occident et dans les pays développés, les citoyens se déclarent méfiants à l’égard de l’information diffusée par les médias. Par exemple en France en 2021 cette proportion atteignait 55 %, le deuxième sentiment à l’égard de l’information, toujours en France est la colère à 18 %. A titre de comparaison, prenons un autre pays, cette fois hors d’Europe, la Corée du Sud, qui est un pays hautement démocratique, libéral qui assure le pluralisme médiatique et qui pourtant fait face à l’un des plus grande défiance au monde à l’égard de l’information et des médias, les sud coréens s’informent majoritairement sur Youtube et les médias d’informations en ligne.
D’après le rapport annuel mondial de l’ONG Reporter sans frontière relatif à la liberté de la presse, le continent européen se porte relativement bien puisque en moyenne il se situe au sommet du classement : 9 des 10 premiers pays sont européens. Mais il faut aussi reconnaître que ce rapport met en exergue des chutes impressionnantes dans le classement. C’est notamment le cas des Pays-Bas qui sont passés de la 6e à la 28e place, cela est particulièrement lié à l’assassinat d’un journaliste sur le sol néerlandais, tout comme un journaliste grecque dans son propre pays aussi. On le constate depuis quelques temps déjà, il y a une véritable défiance envers les journalistes. Cette défiance qui, lorsqu’elle atteint son apogée, se traduit en acte d’une violence extrême, qui vient régulièrement des partis et groupements politiques extrémistes et radicalisés.

Les journalistes de plus en plus en butte aux menaces, jusqu’à Carhaix

La Bretagne n’est pas épargnée puisque depuis plusieurs mois le rédacteur en chef du journal de Carhaix le Poher, recevait des menaces de mort notamment par courrier, avec une apogée au mois de février et une alerte à la bombe dans leurs locaux. France 3 Bretagne avait apporté son soutien au journal et s’est aussi fait menacer.
D’après l’enquête en cours, ces menaces viennent de l’extrême-droite au plus au point opposé à l’accueil de personnes migrantes sur le territoire. Cette affaire fait aussi écho à ce qui se passe dans la commune de Callac depuis plusieurs mois ou encore récemment dans la commune de Saint-Brevin où le maire a vu sa maison incendiée. On s’écarte du sujet mais il est important de rappeler qu’il existe des sujets d’actualité qui passionnent et qui poussent au pire, notamment la mise en danger d’autrui et ici des journalistes.
Si l’on en revient au classement de Reporter Sans Frontière, la France se porte mal notamment en matière de protection des journalistes, pas besoin de revenir sur les attentats de 2015 et les multiples journalistes actuellement sous protection policière, les multiples fatwa qui sont des déclarations de mise à mort instaurées par le régime des mollahs en Iran ou encore les journalistes de la société Première lignes attaqué à la feuille de boucher en plein Paris en 2020.
Le rapport de RSF indique qu’en France tout est mis en place pour favoriser la liberté de la presse mais que les menaces sont telles que le pays ne peut se positionner qu’à la 26eme place. Il y a d’ailleurs une autre cause qui explique cette place, elle est d’ailleurs directement liée au climat social de la France depuis les manifestations des gilets jaunes où le schéma du maintien de l’ordre à nettement évolué et les journalistes et reporters font l’objet de nombreuses attaquent physiques lors des manifestations. Aujourd’hui les techniques de maintien de l’ordre en manifestation sont remises en question parce que les journalistes sont parfois pris dans la masse des violences.
On pourrait aussi parler des responsables politiques français qui accusent voire frappent les journalistes. La France fait donc face à deux dynamiques, la première où il existe des mécanismes de protection de la liberté de la presse et la deuxième où l’opinion publique remet en cause la légitimité de l’information et les groupuscules ultra violents qui passent à l’acte.

Des médias pris pour cibles en Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie

Si on prend le cas de la Pologne, c’est une autre affaire. Ici le gouvernement utilise les médias comme moyen de propagande et c’est assumé en particulier en ce qui concerne les sujets sensibles. Pourtant, la liberté de la presse et le droit à l’information sont inscrits dans la Constitution. La Pologne dispose d’une vaste proposition de médias mais l’État les rachète petit à petit, récemment l’État a acquis 20 des 24 journaux régionaux. Les médias privés sont eux aussi touchés par les tentatives d’ingérences ou encore l’instauration de taxes spéciales sur les revenus publicitaires qui sont les principales sources de financement des médias privés.
D’autres États s’inscrivent dans cette dynamique de ciblage et d’affaiblissement de ces médias, c’est le cas de la République tchèque. De son côté la population de Slovaquie accorde une grande importance au journalisme d’investigation, ce qui se traduit régulièrement par des attaques directes du gouvernement envers les journalistes et médias. Un autre élément intéressant
en Slovaquie est la rencontre entre la société relativement conservatrice et le tendance globale libérale des médias qui rend l’investigation journalistique notamment pour les femmes très difficile lorsque les sujets sont en lien avec le harcèlement sexuel.
Pour toutes ces informations, c’est encore le rapport annuel de Reporter Sans Frontière qui est très éclairant.
Dans l’Union européenne, c’est cependant en Hongrie que la situation des médias est la plus déplorable  Viktor Orban le premier ministre du pays mène une politique d’asservissement des médias privés. Cela se passe essentiellement par le biais économique. Les médias pro gouvernement Orban sont favorisés en matière de financements tandis que les autres, affaiblis sont rachetés par des proches du pouvoir et les lignes éditoriales sont réajustées. Cette stratégie de contrôle de la presse est une réussite pour le gouvernement hongrois qui aujourd’hui a à sa botte près de 80 % du paysage médiatique. Il faut aussi parler des dernières élections hongroises où l’opposition a été clairement muselée par les médias avec un temps de parole considérablement inférieur à celui du vainqueur, dont on connaît le nom.

Finlande et Portugal 

La Finlande, 5ème Etat du classement, propose un modèle complètement différent. En effet, la liberté de la presse existe bel et bien, elle est effective et s’exerce sans souci. Il existe une grande diversité de médias indépendants du pouvoir. Le premier radiodiffuseur du pays est tout de même détenu par le Parlement, comme en France où le Sénat détient la chaîne parlementaire et public sénat. La Finlande est aussi l’État où il y a le plus de médias par habitant, les médias sont essentiellement privés et sont aujourd’hui menacés par l’information gratuite disponible sur les réseaux sociaux.
Si l’on regarde du côté du Portugal, 7ème du classement, la presse est protégée par le gouvernement, aujourd’hui ce sont les mouvances d’extrême droite qui deviennent menaçantes dans le pays. De plus et comme dans le reste de l’Europe, la vente de journaux papiers a de grosses conséquences sur les revenus des sociétés journalistiques qui sont pour le moment compensées très partiellement par les abonnements numériques.

L’Union européenne et l’Europe dans les médias français : la portion congrue

La fondation Jean Jaurès en partenariat avec l’INA ont publié une étude qui couvre la période 2015-2020 sur cette question de la visibilité des sujets européens dans les journaux télévisés. Partant du postulat que les JT sont la première source d’informations des françaises et français sur cette période, seulement 3,6 % des programmes sont consacrés à
l’Union européenne. 
Si on enlève Arte des résultats de l’enquête, les 3,6 % chutent à 2,5 %. En effet, Arte est le seul média champion dans ce domaine, mais le qualificatif de champion est à relativiser puisque la présence des sujets européens reste bien en deçà des enjeux.
Ces chiffres soulèvent plusieurs interrogations. La première est que la France est un État membre et fondateur de l’Union européenne, pourquoi les médias, au moins publics, n’informent-ils pas plus au sujet d’un thème central et moteur de la France dans le sens où, la France ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans l’UE et inversement. Aussi on sait que le Brexit est en grande partie liée à une grande campagne de désinformation sur ce qu’est l’Union européenne. Quand on voit l’État du Royaume-Uni, il y a de quoi s’inquiéter.
Enfin, l’étude couvre la période électorale des européennes 2019 et la très faible proportion d’informations européennes sur la même période interroge notamment quand la France est le seul pays européen ou l’extrême droite a gagné le scrutin. Mais il y aurait de quoi se réjouir puisque l’étude montre une augmentation de 0,7 % entre 2014 et 2019 de la part des sujets européens dans les JT français en période électorale. Pour autant ce chiffre ne dépasse tout de même pas les 5 %.
Autre chiffre à retenir, c’est au sujet de la pandémie de COVID-19. Alors que les sujets européens n’ont que très peu de place, 58% de cette petite place était occupée uniquement par le sujet de la pandémie en 2020.

La résistance de l’information sur les questions européennes

Il convient de saluer des efforts notamment de la part du service public. Aujourd’hui, il existe diverses émissions consacrées aux sujets européens. On peut citer Nous les Européens qui traite avant tout de sujets de société dans les autres État membres, il y a La faute à l’Europe une fois par semaine le mercredi sur France télévision qui permet de débattre autour des sujets d’actualités et sur Arte il y a toujours, pour le moment, le magazine 27 diffusé le dimanche soir.
Par ailleurs, la directrice de France télévision a annoncé en 2021 l’octroi de primes aux rédacteurs en chef du service public qui augmenterait le taux de sujet européen. Mais il y a de quoi se poser des questions sur ces méthodes, ne serait-il pas plus simple de réglementer la diffusion des informations européennes ?
Il existe d’autres moyens de s’informer notamment en ligne, il y a Euractiv qui traite l’actualité des 27 Etats membres, il y a aussi des journaux associatifs très spécifiques comme le Courrier d’Europe centrale ou encore le Courrier des Balkans.
En matière de médias radiophoniques il existe Euradio basée à Nantes qui est spécialiste des questions européennes.
Des journalistes comme Audrey Vuetaz produisent bénévolement des podcasts hebdomadaires pour décrypter les sujets européens, sont podcast s’appelle trait d’union podcast.

L’action et les compétences de l’Union européenne en matière de médias

En 2014, la Commission européenne décide de créer l’ERGA, le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels où chaque Etat membre est représenté par son groupe d’autorité de régulation des médias au sens large. En France c’était l’ancien CSA aujourd’hui devenu l’Arcom qui y siégeait. Ce régulateur européen permet de mener une veille collective du monde de l’audiovisuel et du numérique et de réagir en conséquence en faisant des propositions à la Commission européenne. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est produit à l’automne 2022 lorsque la Commission européenne a proposé un règlement sur la liberté des médias. Pour rappel un règlement s’applique dans les États membres dès lors qu’il est voté et adopté par les institutions européennes dont le Parlement européen. Les règlements sont contraignants, un exemple récent est celui du RGPD sur la protection des données des utilisateurs. Ce nouveau projet de règlement sur les médias prévoit d’augmenter la protection de la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. Cela prend aussi en compte, le soutien vers l’indépendance financière par les États membres des médias d’intérêt général. Il y a également un objectif de transparence qu’il s’agisse des propriétaires ou des nominations dans les sociétés de médias, ces éléments devront être publics. On peut aussi citer la lutte contre l’espionnage des journalistes via des logiciels espions.

Un autre règlement déjà en cours d’application puisque adopté par les institutions, c’est le DSA ou règlement sur les marchés numériques qui vise à protéger les utilisateurs européens et leurs droits fondamentaux notamment en matière de liberté d’expression et surtout augmenter le contrôle des grandes plateformes numériques au regard de la manipulation de l’information et la désinformation.
Pour agir en faveur du pluralisme et de l’indépendance des médias, il faut avant tout bien comprendre et mesurer l’hétérogénéité du paysage médiatique européen notamment en matière de liberté d’expression.