Enseignante chercheure à Brest, Larissa Carvalho Fontes était photojournaliste jusqu’à sa rencontre avec une collection d’objets historiques brésiliens qui l’a convertie à l’anthropologie. Elle a consacré sa thèse aux religions afro-brésiliennes et s’est même initiée ensuite à l’un des cultes.

Bibliographie : Un musée silencieux La collection Persévérance et les xangôs du Brésil, Larissa Fontes, © Hémisphères Éditions, 2022

Crédit photo : Oxum, par Larissa Fontes

Larissa Carvalho-Fontes est enseignante-chercheure à l’Isen à Brest ; son parcours au Brésil, son pays natal, est l’histoire d’une découverte puis d’une conversion, au sens quasi littéral du terme. Alors qu’elle exerçait le métier de photojournaliste d’actualité, Larissa a découvert l’existence d’une collection d’objets, (mal) conservés par un institut brésilien qui les présentait à la mode « cabinet de curiosités », sans égard particulier pour leur état, ni pour leur histoire. Et c’est en se penchant sur cette histoire que la jeune femme a été comme happée par son sujet.

Colonialisme, racisme et oubli

Cette collection Persévérance regroupait en effet environ 200 objets issus d’un sombre épisode de l’histoire brésilienne, dans l’État d’Alagoas au Nordeste, au début du XXe siècle. Un gouverneur très contesté, au pouvoir depuis 10 ans, a été la cible d’attaques et d’une campagne de désinformation de la part de son opposition et des médias associés. La campagne consistait à reprocher au gouverneur et à ses partisans de protéger et d’utiliser (à des fins de sorcellerie notamment) les Xangôs, les cultes d’origine afro-brésilienne de l’État, plus particulièrement de la capitale Maceió. A l’époque, leurs cérémonies étaient en effet florissantes, parfois très publiques. Sur fond de racisme et de méfiance envers les populations les plus pauvres, cette campagne déboucha en 1912 sur « l’opération Xangôs », un saccage des maisons de Xangô (très nombreuses), une destruction des objets de culte, et sans doute des morts mais ils ne sont pas répertoriés. Certains des objets furent néanmoins gardés et exposés comme des trophées.

Le résultat de cet épisode fut la fuite des populations qui pratiquaient ces cultes vers d’autres États du Brésil et, pendant les 40 années qui ont suivi, un silence absolu sur ces religions, dans le Nord-Est du Brésil plus spécifiquement, mais aussi plus largement dans l’ensemble du pays, où ces religions sont pratiquées un peu partout. Il en existe deux grandes tendances : le candomblé et l’umbanda. Toutes deux puisent leur source dans l’esclavage et la traite des Africains. Les esclaves qui ont été déportés au Brésil venaient surtout du Bénin, Congo, Angola, Mozambique, Togo … Leurs dieux, langues et pratiques religieuses étaient différents mais suffisamment similaires pour que, au Brésil, elles fusionnent leurs différentes divinités en un seul panthéon. Ainsi sont nées les religions afro-brésiliennes, avec des variantes selon les territoires de ce grand pays. Elles ont d’autant plus persisté que lors de l’abolition de l’esclavage aucune politique d’intégration des populations concernées n’a été menée ; les religions sont alors devenues pour ces personnes de véritables facteurs d’autonomie et d’organisation sociale.

Passer au-dessus du secret qui entoure ces religions

Les anciennes populations esclaves restaient des parias, sur le plan économique, et donc aussi sur le plan religieux même si les cultes afro-brésiliens ont intégré des éléments du catholicisme pour donner le change.
Si le secret est l’une des caractéristiques de ces religions, c’est du fait de ces persécutions. Mais c’est aussi lié à la forme de ces cultes, les rites initiatiques, les parcours personnels de progression vers la spiritualité. Les pratiques elles-mêmes sont très cadrées, très précises. Les orixas (divinités) ont chacune leur mythologie ; y sont associés des rituels et surtout objets précis, des vêtements, couronnes, capuches, parures, ceintures,  bâtons et sceptres, balais magiques et plumeaux rituels, béquilles, statuettes, armes, éventails-miroirs, cornes, pilons, vases, sacs, miniatures de peignes, couverts, outils, fers à repasser, objets d’autres religions (croix), assentamentos (assemblages), asé (pique plantée au sol), instruments de musique…

Faire revivre des dieux oubliés

L’anthropologue photographe s’est donc penchée avec respect et fascination sur tous ces objets. Elle a cherché, malgré le manque de documents écrits et l’absence de témoins directs (tous décédés) à faire « revivre » littéralement ces objets et même certaines divinités. Elle a ainsi pu « ressusciter » un dieu (orixa) présent dans la collection Persévérance, tombé dans l’oubli à Maceió, mais dont on se souvenait à Salvador de Bahia. Elle poursuit sa quête, même depuis le Finistère. En vivant son sujet et en construisant une relation de confiance réciproque avec les communautés religieuses étudiées, elle est allée jusqu’à être initiée elle-même au culte quelques années après sa thèse.