L'Union européenne vue des outres-mers des États membres

Publié le 30/01/2024
Il n'y a pas d'image pour ce contenu

Chaque mois dans Lem, l'association Breizh Europe Finistère revient sur les actions de l'Union européenne mais aussi la perception que nous en avons. En janvier 2024 l'association se demande quelle vision on a de l'UE depuis les territoires ultramarins des pays membres. 

Le site internet de Breizh Europe Finistère

Chronique à deux voix réalisée par Josselin Chesnel (co-président) et Élia Dovin (adhérente)

C'est un sujet trop souvent oublié, et pour autant Ô combien important : les territoires ultramarins des États membres de l’Union européenne, tous riches de leur grande diversité sur de multiples aspects. 

L'UE, premier espace maritime mondial grâce à ses territoires d'outre-mer

L’Union européenne, c’est 27 pays, 4,2 millions de kilomètres carrés, 14 647 km de frontières, 24 langues et une présence sur tous les océans. Car 22 territoires ultramarins se rattachent de fait à l'Europe. Bien loin du Vieux Continent, ils permettent à l’Union européenne de disposer du 1er espace maritime mondial et sont un véritable atout stratégique. Bien évidemment, ils ne sont pas liés à l’Union européenne en tant qu’États souverains, mais en tant que territoires rattachés à des pays membres tels que les Pays-Bas, le Danemark, le Portugal, l’Espagne ou encore la France, qui à elle seule détient 12 de ces 22 territoires. Leur insularité, leurs climats, leurs conditions de vie en font des territoires bien particuliers éloignés géographiquement du continent, mais pas toujours politiquement…

Ces territoires sont gérés différemment et ont donc une place différente au sein de l’Union selon s'il s'agit de Régions ultrapériphériques (RUP) ou de Pays et territoires d’Outre-mer (PTOM).

9 Régions ultra-périphériques (Rup) de l'UE

On compte 9 régions ultrapériphériques, parmi lesquelles on retrouve des départements français, à savoir la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, la Réunion et Mayotte ; les territoires portugais des Açores et de Madère, et enfin le territoire espagnol des Canaries.

Ce sont des régions pleinement intégrées à l’Union européenne, soumises au droit européen et profitant du marché unique. Cependant, compte tenu de leurs spécificités (éloignement, insularité…), un statut particulier leur est reconnu. Il serait en effet difficile d’y imposer les mêmes directives que sur le continent, ce qui explique qu’ils bénéficient d’une base juridique unique leur permettant une large adaptation du droit européen. Les RUP sont, par exemple, exclues de l’espace TVA, régime fiscal censé être uniforme sur l’ensemble du territoire européen. Mais entre autres choses en raison du coût de la vie qui y est déjà important, les RUP ne paient pas cette taxe. 

Suite au constat que ces Régions sont les moins développées de l'UE, depuis 2017, à la demande de ces Régions ultrapériphériques, un plus gros effort d’intégration est fourni de la part de l’Union. Ces régions jouissent donc d’une attention toute particulière.  

Des fonds plus importants leur sont versés, notamment dans le cadre de la politique de cohésion, qui vise à réduire les inégalités de richesse et de développement entre les régions européennes…à laquelle s’ajoutent les fonds importants alloués aux RUP à travers le programme POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), qui soutient l’agriculture de ces régions.

Aussi, l’agriculture, la pêche, l’accès au numérique, la transition écologique ou encore la stabilisation du système de santé sont autant de domaines fortement soutenus par l’Union européenne dans les RUP.

A Mayotte par exemple, l’association des producteurs des plantes à parfums, aromatiques et médicinales, lance un projet de professionnalisation des filières de l’ylang-ylang et de la vanille. Le projet est financé à 56 % par le Fonds européen agricole pour le développement durable.

En Guadeloupe, le Fonds européen de développement de l’économie régional a participé de l’ordre de plus de 3 700 000 euros à la mise aux normes parasismiques d’un hôpital.

Mais leurs relations ne sont pas à sens unique, puisque les RUP représentent 80 % de la biodiversité européenne et fournissent à l’Europe de nombreux produits agricoles ainsi qu’un vaste espace maritime, et enfin sont un atout important dans les relations extérieures de l’UE, notamment avec l’Amérique latine et l’Afrique de l’Ouest.

En 2022, la Commission européenne assurait après tout vouloir « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive et libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l’Union ».

Pays et territoires d’Outre-mer de l'Union européenne

Les Pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) ont un statut d’associés internes. Les PTOM sont en effet le second type de régions ultramarines rattachées à l’Union européenne. On en dénombre 13 : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, les Terres australes et antarctiques, Wallis et Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon pour la France. Pour les Pays-Bas : Saint-Martin, Saba, Saint-Eustache, Aruba, Bonaire et Curaçao. Et enfin le Groenland, rattaché au Danemark.

Il est important de souligner que les PTOM ne sont pas intégrés à l’Union européenne, mais ont un statut « d’associés internes », statut assez particulier qui les dispense d’une application totale du droit européen. Pourtant, ils restent éligibles à certains programmes et fonds européens, dont Erasmus+, le célèbre programme d’échanges d'étudiants, ou encore le programme LIFE, qui permet de financer des projets dans les domaines des énergies renouvelables, du climat et de l’environnement. Ainsi, en plus de bénéficier de la citoyenneté européenne, les habitants d’Aruba comme de Nouvelle-Calédonie, par exemple, peuvent aller étudier en Allemagne et mener des projets de protection de l’environnement, le tout financé par l’Union européenne.

En Polynésie française, la ville de Papeete s’est par exemple lancée dès 2006 dans un chantier de reconstruction totale de son réseau de collecte des eaux usées. S’étalant sur plus de 10 ans, le chantier n’aurait pas été possible sans l’aide de 16 millions d’euros apportée par le Fonds européen de développement (FED) !

A Saint-Pierre-et-Miquelon, ce sont 26,2 millions d’euros qui ont été apportés par l’Union européenne afin de développer le tourisme durable sur les îles de l’Atlantique Nord.

La place de ces territoires dans la vie démocratique et politique de l'UE

Ces territoires si singuliers légalement, associés à l’Union européenne, ont-ils une place définie au sein des institutions démocratiques et politiques décisionnaires de l’UE ? Comment sont-ils représentés ? Même question bien sûr pour les territoires ultramarins ultrapériphériques parfaitement intégrés à l’ensemble européen : de quelle manière sont-ils représentés ?

Commençons par les RUP. Celles-ci se réunissent entre elles en dehors de toute convocation des instances de l’Union, notamment au travers des conférences des Présidents, qui sont organisées tous les ans. Même chose dans les PTOM, qui sont unis autour de l’OCTA (Association des Pays et Territoires d’Outre-mer).

Aussi, les RUP comme les PTOM s’entretiennent à Bruxelles avec la Commission européenne (l’instance exécutive de l’Union) lors de « grands rendez-vous », afin d’échanger sur les résultats des politiques menées dans le passé, et les nouveaux enjeux et objectifs à venir. Le forum des RUP, organisé tous les 2 ans par la Commission, ou bien encore les réunions tripartites entre la Commission, les États membres et les PTOM, en sont de bons exemples.

Et bien sûr, les RUP et les PTOM sont, au même titre que tout autre territoire partie de l’UE, représentés par les eurodéputés de leur pays.

En revanche les RUP ont une représentation supplémentaire par rapport aux PTOM qui ne peuvent pas les avoir en tant que territoires associés. La représentation au sein du Comité des Régions (instance consultative de l’Union).

Ce sont des territoires qui peuvent avoir d'autres particularités, comme par exemple la Nouvelle-Calédonie, qui a carrément un titre qui lui est consacré dans la Constitution française, et même une citoyenneté calédonienne qui y est définie, en plus de la citoyenneté française et de la citoyenneté européenne…mais qui a en plus sa propre monnaie, son propre gouvernement, et ses assemblées propres, avec le Congrès, le Sénat coutumier… La Nouvelle-Calédonie, qui est un Pays d’Outre-mer, a une représentation officielle auprès des divers États du Pacifique, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et l’ensemble des États insulaires du Pacifique Sud, et même une délégation sportive forte aux Jeux du Pacifique ! Elle est donc quasiment souveraine et pour autant française et européenne. C’est là la singularité très intéressante de ces différents territoires ! 

Les territoires ultramarins, atouts de l'UE mais bien loin... 

L'Union européenne maintient ces territoires pour des raisons géostratégiques. Comme évoqué précédemment, les RUP et les PTOM offrent à l’UE un vaste espace maritime, une présence sur tous les continents, et des produits exotiques à moindre coûts.

Mais au-delà de ces intérêts, le Vieux Continent se penche depuis quelques années sur un autre avantage, que pourraient fournir les RUP comme les PTOM, à l’économie européenne : les ressources minières. En effet, l’Union européenne est largement dépendante de la Chine s’agissant de son importation de métaux rares. Ces métaux rares sont indispensables à la production de nos téléphones portables, nos ordinateurs, et bien d’autres objets du quotidien. Ils servent également à la production de nos outils de défense militaires. Ainsi, l’Europe cherche de plus en plus à se défaire de toute dépendance vis-à-vis de l’exploitation de ces métaux. Et c’est ici que les territoires d’Outre-mer entrent en jeu. La Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française ou encore la Guyane sont des territoires connus pour leurs concentration de métaux dits rares comme le nickel, le lithium ou le tantale. Leurs fonds marins pourraient regorger de métaux précieux également, mais ils sont pour le moment assez peu connus. La France par exemple, encouragée par l’Union européenne, souhaite donc lancer une grande campagne d’exploration et d’exploitation de ces fonds marins afin de sortir de la dépendance chinoise. Mais cette campagne d’exploration ne sera pas forcément reçue à bras ouvert par les habitants des Outre-mer. La protection de l'environnement est primordiale pour ces régions largement touchées par les conséquences du changement climatique. Des conflits et tensions risqueraient donc d’émerger dans les Outre-mer vis-à-vis du Vieux Continent… tensions qui pourraient porter préjudice à l’Union européenne, à son économie et à sa légitimité. 

Les outres-mers de l’Union européenne, ces régions insulaires à des milliers de kilomètres du continent, sont donc des atouts précieux qui bénéficient de statuts et d’attentions particulières et qui pourraient, dans quelques années, se rendre indispensables à l’indépendance économique de l’Union européenne. 

Les habitants des outres-mers européens sont donc considérés comme des citoyens européens, aux yeux de l’UE, et ont tous une certaine représentation auprès de l’Union. Mais, il faut le dire, ce sentiment d’appartenance à l’Europe, ce sentiment d’être européen n’est pas toujours très présent dans ces territoires. En effet, l’Union européenne peut passer pour une institution très floue et lointaine, elle peut passer pour une tirelire, un simple distributeur de fonds. Pourtant l’Union européenne c’est aussi la paix, la démocratie et la défense des droits. Alors que les élections européennes approchent à grands pas, qu’est ce que l’UE pourrait faire pour développer ce sentiment européen et éviter un maximum l’abstention en Outre-mer ? C’est un enjeu difficile et pourtant primordial pour la légitimité de l’Union.