Le siège de Brest en août septembre 1944

Publié le 19/03/2024
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Historien de Brest, Benoît Quinquis nous raconte le siège de la ville à la fin de la Seconde guerre mondiale, en août-septembre 1944.

Une émission trimestrielle proposée par Benoît Quinquis, philosophe et historien mais aussi dessinateur caricaturiste sous le pseudonyme de Blequin.

Les versions écrites sont à retrouver dans le magazine Côté Brest pour lequel Benoît Quinquis écrit des chroniques historiques (liens dans l'article) 

Légende de la photo de couverture : Libération de Brest, cérémonie de Remise de la ville par le général américain Troy H. Middleton au maire Jules Lullien en haut de la rue de Siam le 20 septembre 1944, US army photograph (domaine public) 

Des affiches et des tracts pour avertir l’occupant Allemand

Le 4 août 1944, alors que l’avancée des Alliés pèse sur l’occupant allemand , une affiche placardée sur les murs de Brest enjoint «  à tous sauf au personnel des services publics de quitter la ville » et l’évacuation est « ordonnée instamment par haut-parleurs ».

Deux jours plus tard, le 6 août 1944, de nouvelles affiches dues au commandant Somme-Py, invitent la population « à rester chez elle, quand les F.F.I. (résistants des Forces françaises de l’intérieur) entreront en action ». Elles demandent aussi aux Allemands «  de se rendre sans combats » en les prévenant qu’ils seront « tenus pour responsables des destructions dans l’agglomération brestoise ». L’occupant, bien sûr, détruit la plupart des affiches. Cette même journée, plusieurs personnalités brestoises, dont Victor Eusen (président de la délégation spéciale chargée de gérer Brest à partir de 1942) , se rendent à la Kommandantur et demandent au major Habermas la reddition, faisant valoir que pas moins de 20.000 personnes restent en ville ; l’officier allemand aurait rétorqué qu’il espérait « que les combats ne seraient pas terribles » et la proposition reste lettre morte : plus rien ne peut donc empêcher le siège…

Le lendemain ce sont les Américains qui bombardent la ville… de tracts invitant les Allemands à se rendre ! Ils promettaient « une bonne nourriture, une rétribution pour leur travail et des jours heureux jusqu’à la fin de la guerre » aux soldats de la Wehrmacht à bout de forces.

Ce 7 août 1944 est néanmoins aussi le jour de la proclamation officielle de l’état de siège et du début effectif de l’assaut. L’état de siège est proclamé « vers midi par haut-parleurs », jour où des affiches annoncent la loi martiale, interdisant même « d’ouvrir ses fenêtres et de se pencher au dehors ».

Assaut le 7 août 1944 et massacre de Penguérec

La première colonne de la 6e division blindée américaine aborde Brest par trois routes à la fois mais est refoulée par l’occupant. En ville, des coups de feu sont irés sur un camion allemand au niveau de Saint-Louis et une fusillade éclate à l’entrée de Recouvrance : il y a peu de représailles mais la bataille ne fait que commencer…

Ce même jour alors que les Américains ne sont plus qu’à dix kilomètres de Gouesnou, des résistants attaquent les Allemands qui tiennent la commune. En recul et en guise de représailles, ces derniers prennent en otages 42 civils qui sont massacrés à Penguérec, parmi eux, la quasi-totalité d’une famille de notables gouesnousiens. C’est le massacre, le plus important perpétré en Bretagne pendant la seconde guerre mondiale.

D’après l’historien Dimitri Poupon, qui a consacré sa thèse de doctorat à ce drame, tout porte à croire que la responsabilité n’incombait pas, comme on a pu le croire, à des sous-mariniers d’élite et fanatisés mais plutôt à des artilleurs de la Kriegsmarine qui n’étaient probablement pas les plus brillants et les plus nazifiés de l’armée du Reich mais avaient « le sentiment d’être dans leur bon droit » dans ce contexte où la guerre était encore loin d’être finie.

Un autre massacre a lieu le lendemain, le 8 août 1944 sur la commune de Guipavas, au hameau de Créac’h Burguy où est installé un détachement d’infanterie allemand. Les Américains, déjà aux portes de Brest, sont entrés dans Guipavas, libérant l’Est de la commune tandis que l’Ouest reste sous contrôle de l’occupant. La ville est donc coupée en deux par une ligne de front sur laquelle sont positionnés, côté allemand, « de jeunes parachutistes SS de la relève, arrivée il y a quelques jours » et qui comptent parmi les éléments fanatisés de l’armée du Reich. Vers 16h, deux coups de feu résonnèrent à Créac’h Burguy. D’où viennent-ils ? Mystère ! Toujours est-il que les représailles allemandes sont immédiates et cruelles : les soldats rassemblent deux familles, les Kermarec et les Priser, dans une cour de ferme, les femmes et les enfants écartés, deux hommes restent tenus en joue. Vont les rejoindre 5 des ouvriers agricoles qui travaillent près de la ferme des Monot qui est incendiée. Peu après, les rafales résonnent… « Le soir même, on est revenus chez nous. Mon père et les autres étaient déjà enterrés. Il n’y avait plus rien », commentera ultérieurement Jean Kermarec, âgé de seize ans au moment des faits.

Un peu moins d’une semaine après la proclamation de l’état de siège, le 13 août 1944 Brest essuie son premier bombardement par artillerie : en dépit des promesses du major Habermas, il faut se rendre à l’évidence, la bataille risque d’être longue et sanglante. Or, il reste encore en ville beaucoup de gens dont la présence n’est pas indispensable.

Pour éviter un trop lourd tribut humain, Victor Eusen et Raymond Palu, sergent fourrier des sapeurs-pompiers, obtiennent que les Allemands autorisent l’évacuation et qu’une trêve soit respectée de 17 heures à 20 heures puis de 9 heures à 11 heures « pendant que la population quittera Brest » : l’ordre d’évacuation est diffusé « le jour même par haut-parleurs ». Plus de 15.000 personnes partent ainsi en exode, direction Saint-Renan ou Châteaulin.

L'église Saint-Louis incendiée, le port bombardé

Le 14 août vers 20h30, des coups de feu sont tirés sur un camion devant les halles Saint-Louis. Les Allemands sont persuadés que des FFI sont réfugiés dans le clocher, arrêtent le chanoine Courtet et l’interrogent : n’en tirant rien, ils le relâchent puis s’attaquent à l’église Saint-Louis au lance-flammes de 2cm vers 23 heures. À 2 heures, le toit de l’édifice est en flammes et, à 3 heures, les cloches tombent.

Les journaux de guerre allemands s’interrogent et trahissent un moral chancelant « Combien de temps vont encore durer ces combats sans espoir ? » Du côté des chefs, on ne nourrit en effet guère plus d’espoir : le 16 août 1944, alors que les Alliés occupent déjà le bourg de Plougastel et bombardent la périphérie de Brest, ils ordonnent la destruction des quais du port de commerce. L’opération, réalisée « en forant des fourneaux de mines ou en employant des mines flottantes », va se poursuivre pour ainsi dire jusqu’à la reddition.

Le port de Brest est ensuite « bombardé par des avions lourds » ce 17 août 1944 et trois membres du groupe FTPF (* ndlr : Francs-tireurs et partisans français,un autre mouvement de résistance intérieure affilié au Parti communiste) du capitaine Marc se sont réunis au 13 rue Coat ar Guéven. Leur chef est censé les rejoindre, mais ils constatent que l’occupant bloque « tous les accès à la maison ». Le doute n’est guère permis : leur groupe a été dénoncé. Les trois FTPF s’apprêtent à partir, mais l’ennemi n’attend pas leur sortie pour pénétrer dans l’immeuble. L’un des résistants, Cariou, bouscule l’officier allemand et prend la fuite en direction du cinéma « Vox » : les soldats lui tirent dessus mais le ratent. Il échappe ainsi au sort très peu enviable de ses deux compagnons, Jameau et Gourlaouen : considérés comme espions, « amenés dans le cours des Coopérateurs, le magasin voisin » puis fusillés.

Le 3 septembre 1944, alors que les bombardements ne cessent de s’intensifier et font tomber le pont tournant dans la Penfeld, les Allemands décident « l’évacuation générale de la population restante » et en informent à 18h Victor Eusen, président de la délégation spéciale. Celui-ci réunit aussitôt les « responsables de l’heure » et les informe de cette disposition qui implique l’évacuation de l’abri Sadi-Carnot. Les Français ne seront « plus représentés dans la ville que par un groupe extrêmement réduit », permettant aux Allemands de laisser le « néant total » aux Alliés ! Mais à 19h30, un soldat arrive de la Kommandantur et annonce qu’il y a contre-ordre : Victor Eusen en profite pour demander que la partie de l’abri occupée par la délégation spéciale lui soit « réservée jusqu’au bout et quoi qu’il arrive ».

Explosion de l’abri Sadi-Carnot

Un mois après la proclamation de l’état de siège, le 9 septembre 1944, plus rien, malgré l’obstination suicidaire des Allemands, ne semble arrêter l’armée des États-Unis dans son avancée vers Brest : rien que ce jour-là, Bohars est libéré, la deuxième et la huitième division font chacune mille prisonniers et, surtout, les soldats américains, accompagnés des FFI, atteignent la Penfeld, sur fond de combats menés « pâté de maisons par pâté de maisons ».

Un jour de gloire malheureusement terni par un drame : l’explosion de l’abri Sadi-Carnot. Plusieurs abris avaient été bâtis à partir de 1942 pour protéger la population des bombardements : l’abri Sadi-Carnot, qui était le seul à être doté d’un groupe électrogène, devait son nom au fait qu’on y accédait par la place Sadi-Carnot où 154 marches conduisaient 23 mètres sous terre. Opérationnel dès janvier 1943, il accueillait les civils brestois dans la partie haute et les Allemands, soldats ou membres de l’organisation Todt, dans la partie basse où ils entreposaient également un stock d’essence et de munitions… On sait donc « pourquoi » l’abri a explosé, mais on ne sait pas « comment » exactement. La question est : d’où est venue l’étincelle de départ ? Était-ce dû à une fausse manœuvre d’un soldat, comme le disent certains témoins ? Au désordre provoqué par l’arrivée impromptue de « parachutistes harassés » comme le suggère Bruno Calvès ? Une chose est sûre : le groupe électrogène plus l’essence et les munitions, c’était le bouillon de culture fatal ! Ainsi, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, un incendie se déclare, la fumée remonte jusqu’à la partie civile de l’abri et 39 personnes parviennent à remonter à l’air libre quand, soudain, une forte déflagration ferme la grille : 373 personnes, dont 40 enfants, sont prises au piège et périssent calcinées.

De l’ultimatum américain à la reddition

Trois jours après ce drame, la pression des troupes américaines sur Brest ne cesse de s’accentuer. Les G.I. ont pris aux Allemands le bâtiment qu’ils appelaient Gasthaus et dans lequel s’était installée la police. Le jour même de cette prise, le major général Troy H. Middleton somme le général Ramcke, qui commandait la place de Brest, de se rendre. Middleton connait Brest pour y avoir débarqué en mai 1918, quand il n’était encore « que » lieutenant, et en être reparti en juillet 1919 sous le grade de colonel. Ramcke a de l’estime pour cet adversaire en qui il voit un chef de guerre remarquable et auquel il continuera à écrire après la guerre. Il songe même déjà sérieusement à sa reddition mais, pour l’heure, il refuse l’ultimatum. Son entêtement lui vaudra les félicitations d’Hitler.

Pendant la bataille, la rue Victor Hugo est l’une des poches de résistance allemande les plus tenaces face aux Américains : les combats y dureront environ trois jours, les soldats du Reich se relevant « dans les entrées et soupiraux de la rue ». Le numéro 47, notamment, est important pour eux : c’est l’adresse du poste de secours où ils conduisent leurs blessés qui, une fois pansés, sont « expédiés par le Dr Corre vers le foyer du Marin et du Soldat ». Le 14 septembre 1944, les Américains débordent les Allemands et pénétrèrent au 47 vers 15 heures : il n’y reste plus que quatre hommes qui se disent autrichiens et se rendent sans coup férir.

Dans les derniers jours de bataille, des soldats allemands épuisés trouvent refuge à l’abri de la Défense Passive de Saint-Pierre, tandis que leurs camarades postés à Kerbonne mobilisent leurs dernières forces pour résister au pilonnage du quartier. Le 17 septembre 1944, le poste allemand est « complètement dans les lignes américaines » et les troupes U.S. l’attaquent pour de bon à 10 heures à la grande satisfaction de tous, y compris des Allemands qui, après quatre heures de combat pour la bonne forme, se rendent « tout joyeux » et tendent même la main aux vainqueurs « fort étonnés de cette amitié subite ». Cette anecdote, qui illustre bien la lassitude des soldats du Reich, n’est qu’un début : le lendemain, les alliés prennent la base sous-marine, puis les troupes du colonel Pietzouka capitulent à leur tour.

Il ne restait plus, pour ainsi dire, qu’à obtenir la reddition du général Ramcke : celui-ci se rend le 19 septembre 1944 à Middleton « à la pointe des Espagnols, sur la presqu’île de Crozon » où il s’était réfugié deux jours auparavant. 

L’abandon du commandant de la forteresse allemande marque la fin de la bataille : Brest est libérée, mais on ne sait que trop à quel prix matériel, sans compter qu’il reste à identifier les victimes de l’incendie de l’abri Sadi-Carnot…

C’est le 27 septembre 1944 qu’une petite troupe, menée par le docteur Delalande et composée de quelques volontaires, pénètre en ce lieu de déjà sinistre mémoire pour identifier les victimes. À peine entrés, ils ont droit à une vision dantesque : « parmi les décombres, les corps et les restes de corps amalgamaient toutes les marches en une véritable lave humaine s’échappant du volcan » ! Cette première équipée permet de reconnaître cinq victimes dont le R.P. Ricard et Victor Eusen. Le travail est poursuivi ensuite par vingt-quatre personnes, toutes volontaires, avec les moyens dont on pouvait disposer alors que la guerre n’était pas encore finie. Bien sûr, l’identification formelle des corps a pris du temps : en 2012, 331 cadavres étaient identifiés, ce qui fait une quarantaine d’autres dont l’identité exacte restait mystérieuse près de soixante-dix ans après les faits !